Spirou et Fantasio - Tomes 9 à 11
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 19/12/2007 (Tags : spirou fantasio franquin tome eur dupuis fournier
Si Franquin n'est pas le père de Spirou, il est assurément devenu son tuteur légal. Heureuse initiative que de rééditer en collection intégrale la période 1946-1968 (ici, les années 50).
Spirou le petit groom est une figure majeure de la bande dessinée. Créé à l'origine par Robert Velter (voir l'historique des éditions Dupuis pour plus d'informations sur le personnage et son journal), il gagne ses lettres de noblesse sous la plume et le pinceau d'André Franquin, que trop de gens ne considèrent que comme le père de Gaston Lagaffe. Reprenant le personnage en 1946 pour ne le laisser partir qu'en 1968, Franquin le plonge dans une série d'aventures mêlant policier et fantastique, équivalent décomplexé de Tintin, dont le journal est alors le concurrent principal de celui de Spirou. Les personnages habitant les deux séries peuvent être facilement renvoyés dos à dos : un héros juvénile qui semble ne jamais exercer son métier (Tintin le reporter contre Spirou le groom), un comparse plus impulsif et fumeur de pipe (capitaine Haddock contre Fantasio), un savant distrait mais génial (Tournesol contre Champignac) et un animal de compagnie omniprésent (Milou le fox terrier contre Spip l'écureuil). La différence majeure tient dans la paternité de l'univers, Tintin étant l'œuvre exclusive de Hergé jusqu'après sa mort (on le saura) tandis que
Intégrale tome 4Spirou passe de mains en mains au gré des époques. Mais depuis la fin des années 60, tous les auteurs s'en approchant sont jugés à l'aune du baromètre Franquin...
Contrairement à ce qu'annonce la coquille sur la quatrième de couverture (qui est bien le seul reproche qu'on peut faire à cette très belle réédition), le quatrième tome de l'intégrale Franquin, titré Aventures modernes, regroupe les aventures initialement parues de 1954 à 1956 dans le Journal de Spirou. Les trois tomes précédents, intitulés Les débuts d'un dessinateur, De Champignac au Marsupilami et Voyages autour du monde sont également disponibles dans les librairies dignes de ce nom. Contrairement à l'intégrale de Yoko Tsuno, Dupuis a opté pour une réédition chronologique et non thématique, ce qui n'empêche pas le dossier préliminaire d'être fichtrement complet, présentant nombre de documents d'époque, de renseignements instructifs et de remarques amusantes sur les albums.
Le repaire de la Murène
Inspiré par les travaux de Cousteau, Franquin décide d'envoyer Spirou et Fantasio sous l'eau. Foin de détails sur l'intrigue, rocambolesque et pleine de rebondissements, la meilleure idée de l'album est de faire revenir le Marsupilami, géniale bestiole tropicale que l'auteur avait laissée à l'écart de La mauvaise tête l'année précédente. Rappelons que le Marsupilami est probablement le meilleur personnage de tout l'univers de Spirou : inventé par Franquin lui-même, il fera la joie des lecteurs aux côtés du groom et du journaliste jusqu'au jour où Dupuis se décide en 1987 à lui accorder sa propre série. Animal colérique mais affectueux, bagarreur et endurant, espiègle et astucieux, le Marsu s'exprime à coups de « Houba Houba » et torgnole les impudents à l'aide de son interminable queue roulée en forme de poing. Créature unique dans l'histoire de la bande dessinée, elle reste l'apport majeur de Franquin à Spirou. Bien entendu, le Marsupilami n'excuse pas la fin trop rapidement expédiée de cet album, mais après tout, venant d'une histoire de murène, on aurait presque pu accepter une fin en queue de poisson...
La Quick Super et Les pirates du silence
Dans le deuxième album de ce volume, on trouve deux histoires séparées : la Quick Super, de 16 pages seulement, offre sa couverture à l'ensemble. Une bonne petite histoire sur une série de vols de voitures, logiquement agrémentée de poursuites à l'aide du bolide révolutionnaire prêté à Spirou et Fantasio.
La deuxième histoire, toute proportion gardée, est probablement la plus faible de cette fournée. Fantasio part en reportage secret dans une ville qui abrite des célébrités incognito. Appareils photos et caméras y sont interdits, Fantasio est donc obligé d'en camoufler ; cette attitude de paparazzi ne contribue guère à le rendre sympathique dans cette histoire vite oubliée, dans laquelle Franquin commet une erreur qu'il regretta par la suite : faire parler le Marsupilami. Il évitera par la suite de mettre en avant cette capacité...
Le gorille a bonne mine
Initialement intitulée Le gorille a mauvaise mine (faudrait savoir !), cette histoire voit Spirou et Fantasio partir au Congo. Vingt ans après Tintin, la vision colonialiste existe-t-elle toujours ? Dans une certaine mesure, oui, mais les personnages noirs bénéficient de bien plus de respect ici ; Franquin a pris soin de les faire s'exprimer en kiswahili entre eux, tout en sachant que peu de gens remarqueraient ce louable effort. On notera par ailleurs que Spirou est capable de méchamment s'énerver, et comme le souligne le commentaire en début d'album, de réagir avec moralité mais sans se prendre pour un auxiliaire de la police ; ce type de comportement est finalement assez peu habituel à l'époque, et renvoie à quelques rares personnages comme Sherlock Holmes ou Batman, qui ne font pas nécessairement l'amalgame entre la justice et la loi.
Plus que quatre tomes pour compléter la « collection Franquin » : ils s'intituleront Mystérieuses créatures, Inventions maléfiques, Le Mythe Zorglub et Aventures humoristiques.