Les Aventures de Lucky Luke d'après Morris - Tome 3 - L'homme de Washington
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 12/01/2009 (Un vrai Lucky Luke à l'ancienne, avec un ajout de clins d'œil modernes et d'hommages aux classiques pour rappeler que la page Morris est tournée. Laurent Gerra ne flingue pas le personnage, c'est une chance.
Lucky Luke rides again... Depuis la mort de Morris en 2001, le destin du cow-boy solitaire repose entre les mains d'un duo étonnant : le dessinateur de CRS = détresse (Achdé) associé à l'imitateur préféré des beaufs passéistes (Laurent Gerra), autant dire que l'annonce de l'équipe n'augurait rien de bon. Pourtant, déjouant toutes les prédictions, les deux hommes réussissent à tenir sérieusement la route depuis trois albums (malgré un scénario laborieux au deuxième tome). Sous un titre à nouveau très générique (après La belle province et La corde au cou), L'homme de Washington est un album fidèle en tous points à l'esprit de Lucky Luke, scénarisé "à la Goscinny" (Achdé est désormais cosignataire), et dont la présence ne salira pas les étagères du collectionneur.
Chargé d'escorter le candidat à la présidence Rutherford B. Hayes à travers les Etats-Unis, Luke le Chanceux doit le protéger à la fois des risques liés à sa campagne (l'abus de choucroute) et des pièges tendus par l'autre candidat républicain autoproclamé, Perry Camby (représenté sous les traits de George Bush Jr., clin d'œil pachydermique mais pas désagréable). Le troisième danger qui guette Hayes n'est pas du ressort de Lucky Luke : sa femme ‘Lemonade Lucy' a décidé à sa place qu'il ne boirait pas une goutte d'alcool. Heureusement que depuis, les Lucies ont fait des progrès (private joke)...
Gerra et Achdé sont l'un comme l'autre des fanatiques avoués de Lucky Luke. Cette passion se ressent dans chaque page de l'album, autant par la fidélité du dessin (la plupart des cases auraient pu aussi bien être signées de Morris lui-même) que par la construction rigoureuse du scénario. Dans la grande tradition de la série, celui-ci repose à la fois sur plusieurs éléments historiques véritables (le candidat Hayes sera bien le 19ème président des USA) et sur une part de pure fantaisie (le concurrent Camby) ; quelques réalités de l'époque sont effleurées de façon suffisamment épurée pour ne pas choquer le public familial (le lynchage des Noirs) ; un certain nombre de clins d'œil sont adressés aux albums précédents et à la culture western en général (Billy the Kid, Elliot Belt / Lee Van Cleef, les héros des Mystères de l'Ouest qui se fendent d'une apparition sympathique bien qu'un peu inutile) ; et surtout, l'humour est basé d'une part sur une déclinaison
systématique d'un postulat simple et drôle (Hayes veut boire, sa femme veut l'en empêcher), d'autre part sur un usage immodéré du calembour à tif et du jeu de mots sans bique, deux éléments dont René Goscinny raffolait. Et parmi les scénarios de Lucky Luke, on a beau aimer ceux de Morris ou de certains des contributeurs qui se sont succédés dans les années 80-90, il faut bien reconnaître que ceux de Goscinny sont restés les vrais classiques de la série.
Sans révolutionner l'univers codé du héros (heureusement) mais sans se rendre pour autant coupable de décalquage laborieux, Gerra et Achdé fournissent à Lucky Luke un 73ème album (malgré la nouvelle numérotation) de très bonne tenue, susceptible de plaire aussi bien aux lecteurs nostalgiques qu'aux nouveaux venus. On n'oserait pas en dire autant des spectacles de Laurent Gerra, notez bien.