5.5/10Les Tuniques bleues - Tome 50 - La traque

/ Critique - écrit , le 09/09/2006
Notre verdict : 5.5/10 - Chargé ? (Fiche technique)

Que ce soit l'aspect historique, la psychologie des personnages ou encore son approche humoristique, les rouages de la machine semblent obsolètes. Il sera difficile pour l'auteur d'insuffler une nouvelle jeunesse à ses protégés.

Les tuniques bleues... En voilà une série qui a dû alimenter vos lectures nocturnes. Qui n'a pas un jour été séduit par les périples du sergent Chesterfield et de l'improbable caporal Blutch au point de les relire avec un plaisir sans faille ? Que l'on aime ou non, Les tuniques bleues font incontestablement partie du patrimoine de la bande dessinée. Mais à l'heure où le tome 50 sonne avec enthousiasme leur anniversaire, force est de constater que les missions capillotractées de nos deux yankees leur donnent de la peine pour souffler dignement les bougies.

Tout commence en 1968 dans les locaux de Dupuis. Le dessinateur Salvérius, fasciné par les westerns, cherche à mettre en place un projet de grande ampleur après avoir réalisé préalablement de courts récits. C'est Raoul Cauvin qui va alors lui donner satisfaction en lui proposant le thème de la guerre de sécession. Enthousiasmé par l'idée, Salvérius ne tarde pas à retrousser ses manches pour faire des essais graphiques. Des histoires de quelques pages sont publiées dans le magazine Spirou et permettent au duo de peaufiner leurs travaux avant d'entreprendre des séries complètes. Le succès est fulgurant et ne tarde pas à combler le vide laissé par le départ de Lucky Luke du magazine. Malheureusement, Salvérius ne pourra pas jouer les tuteurs bien longtemps. Le 22 mai 1972, il disparaît brutalement alors qu'il était en train de travailler sur Outlaw. Suite à ce décès tragique, Cauvin propose à Willy Lambil d'achever le tome et de devenir le dessinateur attitré de la série. Une responsabilité lourde à porter que l'homme accepte. Lambil effectue une importante recherche de documentation pour être le plus proche possible de la réalité. Il en profite également pour évoluer son trait franco-belge vers un style semi réaliste plus en phase avec les récits que lui propose petit à petit Cauvin. L'engouement des lecteurs est tel que Lambil doit se résoudre à se consacrer uniquement à prendre soin des deux nordistes et délaisser des projets personnels comme Sandy par exemple. Les tuniques bleues chargent avec frénésie et percent les lignes étrangères. Plus de 15 millions d'albums vendus et traduits dans différentes langues. Des batailles victorieuses qui leur permettent de vaincre l'anonymat, même si les derniers affrontements semblent montrer quelques faiblesses scénaristiques.

Les tuniques bleues jouissent d'une certaine reconnaissance car ils touchent sous différents aspects un lectorat varié. Depuis Un chariot dans l'Ouest, la série a connu une importante évolution au niveau de l'écriture et du dessin. Certains sont charmés par les premiers épisodes, plus propices à l'humour franco-belge mêlant comique de répétition et de situation, dynamisés par les dialogues et cernés par un trait adéquat gros nez avant de redevenir plus classique. Le sergent Chesterfield est alors à la tête d'une troupe incluant Blutch et se tournant les pouces dans le quelque peu paumé Fort Bow. D'autres au contraire, préfèrent davantage la mise en avant de la psychologie des personnages. Au fur et à mesure, Cauvin resserre son intérêt sur Chesterfield et Blutch pour en faire des personnalités aux tempéraments fortement opposés et sujettes à de nombreux conflits amicaux. Cornélius devient un homme naïf prêt à mourir au combat pour monter en grade et acquérir les honneurs. Blutch est un farouche déserteur rancunier et débrouillard assoiffé de liberté. Le scénariste se penche alors sur leur passé, de leur engagement accidentel dans l'armée (Blue retro) jusqu'aux vertes années. Il développe ainsi la relation de ce duo improbable d'hommes que tout oppose, réunis malgré eux par l'horreur des massacres civils et militaires. Cauvin laisse ainsi transparaître une fibre plus humaniste tout en précisant les anecdotes historiques (Quantrill, Black Face, Grumbler et Fils... ). Des personnages secondaires apparaissent et permettent de donner des repères fidélisant les lecteurs. Arabesque, le capitaine Stark ou le général Alexander font partie entre autre des acteurs solidifiant les édifices des Tuniques bleues à long terme. Cauvin jongle subtilement entre l'humour et la dure réalité des faits pour lui permettre de mieux dénoncer les maux de la guerre. Un travail de longue haleine que le scénariste à su mener un certain temps haut la main avant de commencer à stagner. Cauvin aurait-il fouillé dans les moindres recoins tout ce qui pouvait être susceptible de l'inspirer ? Sans doute. Depuis Les planqués-Puppet Blues, notre homme semble avoir fait le tour du sujet. Même si Les tuniques bleues détiennent toujours cette même atmosphère, les intrigues ne sont guères approfondies sur le plan historique et plus basées sur la vie de la 22 ème cavalerie.


La Traque
ne fait pas exception à la règle. Durant une sanglante bataille, un nombre important de soldats décide de déserter, obligeant les généraux à se replier pour ne pas s'exposer eu même en première ligne. Le général Grant est furieux mais a besoin de ses hommes à l'heure où le risque de confrontation est à son comble. Grant envoie donc des membres de la 22ème rechercher ceux qui manquent à l'appel en leur donnant pour unique chance de réintégrer les troupes au risque de se faire fusiller. Le sergent Chesterfield et le caporal Blutch sont tout désignés pour accomplir cette tâche. Après plusieurs allez-retours à ramener les soldats ayant pris peur, ils sont dans l'obligation d'élargir leur zone de recherche. Leurs investigations vont les conduire directement en territoire ennemi. Pris au piège par les sudistes, ils retournent dans la prison de Robertsonville où ils rencontrent de nouveau l'impulsif Cancrelat. Mais les deux yankees parviennent à fuir en se faisant passer pour des sudistes. Une nouvelle qui embarrasse le général Lee alors qu'il est sur le point de mettre à exécution un plan redoutable censé neutraliser l'adversaire...

Serait-ce parce que nous avons affaire au cinquantième album que l'histoire donne l'impression d'être un vague condensé des anciens épisodes ? L'intrigue, ici décomposée en plusieurs chapitres semi-indépendants les uns des autres, n'est pas approfondie. Tandis que dans les tomes précédents, nos deux héros voyaient leurs aventures se dérouler dans un lieu spécifique, Cauvin semble ici avoir réussi par on ne sait quel miracle à réduire la superficie du continent américain. Chesterfield et Blutch débutent leur mission dans les alentours de leur quartier général, leur inconscience les mènera directement dans le camp de Robertsonville. Il ne leur faudra pourtant pas plus d'une nuit pour fuir les lieux maudits, se mouvoir dans le camp ennemi et revenir en fin de journée au point de départ du récit. Certains protagonistes ayant marqué leur présence dans le passé tel que Cancrelat ou le général Lee figurent rapidement sans pour autant marquer l'album. Le capitaine Stark joue encore ici sont fameux rôle de soldat abruti par ses automatismes sans pour autant faire sourire. Certains passages croulent sous les zones d'ombres. On ignore réellement quel est le fameux plan de Lee pour repousser l'ennemi et qui pourrait sortir de l'original par rapport à ce que nous avons connu de lui. Malgré une introduction où la Cauvin touch est facilement décelable, la conclusion du récit est amenée maladroitement. Elle ne se focalise que sur une partie détenant une place mineure dans l'épisode, et qui n'a pas forcement marqué nos personnages par la suite. Le graphisme est toujours fidèle à lui même. Seul le coloriste a voulu s'amuser un peu avec l'aérographe d'une tablette graphique, notamment pour tagguer les chevaux.


Honnêtement, il est difficile de nier l'ambiance des Tuniques bleues. Elle est toujours palpable. Cauvin ne s'est pas tiré une balle dans le pied en se risquant à explorer des contrées inconnues, sans rapport avec son univers comme a pu le faire Uderzo avec Le ciel lui est tombé sur la tête. Cela n'empêche pas les uniformes de recueillir les moisissures. Que ce soit l'aspect historique, la psychologie des personnages ou encore son approche humoristique, les rouages de la machine semblent obsolètes. Il sera difficile pour l'auteur d'insuffler une nouvelle jeunesse à ses protégés. En attendant, le tome 50 fait partie de ces dernières parutions dont on peut facilement se passer... Accro de la gachette monétaire ou non.