8/10Double JE

/ Critique - écrit par iscarioth, le 12/01/2006
Notre verdict : 8/10 - Retour vers le futur... proche (Fiche technique)

Tags : double france series saison dea jimmy carole

Fan de Béhé ou pas, Double JE reste un diptyque à découvrir pour tous les lecteurs de bande dessinée. Angoissant par sa forme et pertinent de par son fond, Double JE est une histoire complète, confrontant l'homme à son évolution.

Les auteurs

En 1989, Joseph Béhé lance en compagnie de son camarade scientifique Toff sa première série, Péché Mortel. Mais c'est en 1992 que l'auteur explose, avec le lancement du diptyque Double JE, qui va s'affirmer comme l'une des grandes réussites du début des années quatre-vingt-dix. Par la suite, Joseph Béhé a apporté confirmation sur ses talents. Il a signé le premier tome du Décalogue de Giroud, l'album le plus remarqué et complimenté de la saga. Il a aussi entamé un triptyque très remarqué chez Vents d'Ouest : Chimères.

Une anticipation pertinente

On retrouve donc ici Béhé à ses débuts, se révélant à un public assez large par ce diptyque d'anticipation. Le thème principalement traité est celui des manipulations génétiques, un sujet très discuté et en vogue, débudoubleje01r_30032002_250.t des années quatre-vingt-dix (on remarquera l'étiquetage très commerçant du deuxième tome : « Manipulations Génétiques. Ce qu'il vaudrait mieux ne pas savoir... »). Au scénario, Béhé s'adjoint de Toff, un scientifique chargé de recherche à l'INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale). Car c'est bien de ce sujet assez technique qu'il s'agit : la recherche médicale, dans le cadre d'un récit BD d'anticipation. Anticipation et pas science fiction, puisque nous nous situons ici dans un futur proche. Il est d'ailleurs amusant de voir comment les auteurs, en 1992, imaginait l'an 2014. Les téléphones portables utilisés dans un temps qui nous succède encore de dix ans sont gros comme des télécommandes et les télévisions portatives ressemblent à de grosses et vieilles radios. A ce niveau, le diptyque a plutôt mal vieilli. Mais le fond des deux tomes reste très pertinent. Le monde a évolué sur les chemins confondus du progrès et du conservatisme. Fascisme, catholicisme, manipulations médiatiques et découvertes scientifiques s'embrasent ici pour donner forme à un futur proche très inquiétant car crédible, aux vues pessimistes des évolutions en cours. On découvre un monde dirigé d'une manière farouchement conservatrice, qui piétine dans ses contradictions et dans sa corruption. Quelques exemples. Lors d'une cérémonie de récompense décernant des « Christs d'or », la soeur Marie-Clotilde déclarant : « Je pense en particulier à nos quinze mille malades du sida que nous avons convertis lors de leur entrée dans notre hôpital de brousse ! ». Ou encore cette discussion, quelques pages plus tard, en arrière plan : « Mais nous sommes beaucoup plus large d'esprit que vous le prétendez ! L'avortement, par exemple... Notez qu'il reste autorisé pour les mineures violées. Libéral, non ? ». Un récit d'anticipation brillamment mené car révélant les travers et dangers de notre société contemporaine, de ses gourous, de son système économique et médiatique et de ses puissances religieuses...

96 pages de qualité

Pdoubleje02r_30032002_250.etit bémol, cependant, cette critique, liée au récit d'anticipation, reste sous jacente, en arrière plan. Une raison importante ; l'aventure ne se déploie que sur deux albums. Il est déjà fort étonnant que Béhé ait réussi à construire des personnages épais et une intrigue ficelée qui se démêle d'une façon réaliste en seulement deux fois quarante-huit pages ! Car Double JE présente bien un scénario et des personnages d'envergures. L'héroïne, Luce, possède un bon caractère, avec ce qu'il faut d'impulsivité et de réflexion. On s'identifie très rapidement au personnage. Le diptyque possède son lot de personnages secondaires intéressants comme Soeur Berthe ou Vincent. Le suspense va crescendo sur l'ensemble des deux albums et l'intrigue s'éclaircit dans la tête du lecteur sans trop d'artificialités, malgré un pré-final « à l'eau de rose ».
Il est aussi amusant de venir cueillir Béhé en début de carrière. En ouvrant Double Je à côté du Manuscrit ou bien même à côté de Chimères, on constate les énormes progrès de l'auteur, qui s'est, au fil des ans, brillamment affirmé dans son style.

Fan de Béhé ou pas, Double JE reste un diptyque à découvrir pour tous les lecteurs de bande dessinée. Angoissant par sa forme et pertinent de par son fond, Double JE est une histoire complète, confrontant l'homme à son évolution.