Je voudrais me suicider mais j'ai pas le temps
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 18/02/2009 (Tags : jean cestac florence teule mais vie schlingo
Vie et mort de Jean-Charles Ninduab, dit Charlie Schlingo, bédétiste de l'extrême qui vécut un pied dans la tombe et l'autre au bistrot. Florence Cestac et Jean Teulé retracent avec fantaisie le destin d'une personnalité unique.
Marrant de trouver chez Dargaud cette biographie d'un auteur de bande dessinée qui n'y a jamais été publié, plutôt spécialisé dans les éditeurs underground anticonformistes, les Futuropolis et Humanoïdes Associés à l'époque où l'un et l'autre étaient des labels de guérilla créative échevelée. Charlie Schlingo, de son vrai nom Jean-Charles Ninduab (un patronyme qui ressemblait déjà à un pseudo et s'avère avoir été une sorte de gag), est mort en 2005 à moins de deux mois de ses cinquante ans. Florence Cestac et Jean Teulé lui rendent hommage à travers 96 pages de chroniques fantasques d'une vie où se mêlent la rock'n'roll attitude et une certaine forme de désespoir.
Affecté très jeune par la polio, Ninduab se réfugie dans la lecture de bandes dessinées comme Popeye, qui deviendra le modèle de la petite fiancée virtuelle de Schlingo : Josette de Rechange... Partant dans la vie avec un handicap physique et un mal-être assez tangible, le héros de cette histoire se lance à corps perdu dans l'art décadent des petits Mickey, explorant le sillage creusé par le provocateur professeur Choron, alignant les bouteilles bues aussi vite que les cases dessinées, pissant par la fenêtre de son domicile et vomissant sur les tables des restaurants. Le récit de sa vie est forcément teinté d'un mauvais goût crasse, d'une construction coq-à-l'âne qui reflète les hoquets d'un parcours chaotique, mais aussi d'une poésie indéfinissable, résultat d'une personnalité dont personne n'a jamais su si elle était géniale ou simplement couillonne et décomplexée.
Plutôt que de consacrer à Charlie Schlingo une biographie scrupuleuse et documentée, sérieuse et bien articulée, Cestac et Teulé optent pour la fantaisie, et la transposition de la vie réelle dans la fiction du bonhomme. On ne saura jamais trop où s'arrête l'anecdote véridique et où commence la foldinguerie fantasmée. Que le jeune Ninduab ait pris l'habitude de marcher sur les mains, et qu'il se soit construit ainsi des bras dignes de son idole Popeye, on le croit sans peine ; qu'il
ait parcouru plus tard douze kilomètres de cette manière, on en doute déjà un peu plus... Le dessin de Florence Cestac se prête merveilleusement à cette narration, comme il se prêtait à La véritable histoire de Futuropolis où l'on croisait déjà Charlie Schlingo : ici, la dépression se tapit perpétuellement derrière le rire, et l'humour ne quitte jamais les pages les plus déprimantes. Les choix des auteurs semblent immensément respectueux de l'esprit du disparu, qui aurait sans doute préféré cette description foutraque et rigolote à une œuvre réaliste et austère.
On apprécie également la dernière page, qui au lieu de lister les albums de Cestac et Teulé, recense ceux de Charlie Schlingo en annonçant les rééditions prévues chez l'Association. A une époque où chacun se contente souvent de vendre sa propre soupe, on est content de trouver ce petit vent de fraîcheur venu d'une époque moins mercantile. Comme le brame Choron au détour d'une page : « On s'en fout du pognon ! ». Avant de sombrer dans une sorte de coma éthylique...