Superman a 70 ans - Dossier

/ Dossier - écrit par riffhifi, le 02/06/2008

Tags : superman heros comics batman personnage annees siegel

Apparu pour la première fois en juin 1938, Superman a traversé les décennies en connaissant finalement bien peu d'évolutions comparé à certains de ses camarades. Boy-scout patriote et épris de justice, il continue aujourd'hui sa carrière de super-héros...


Années 40 - Années 50 - Années 60 - Années 70 - Années 80 - Années 90 - Années 2000

Avant 1938, personne n'aurait eu l'idée d'enfiler un slip par-dessus son pantalon. Personne n'aurait cru en tout cas que ce genre d'accoutrement, couplé à une cape rouge et une paire de bottes moulantes, ferait la gloire d'un personnage pour 70 ans et lancerait une mode littéraire au succès exponentiel. Personne, pas même les créateurs d'un tel personnage : Jerry Siegel le scénariste et Joe Shuster le dessinateur vendent les droits de leur création pour une bouchée du pain de l'époque, et s'en mordront les doigts jusqu'à leur mort au cours des années 90.

1938 : première apparition
1938 : première apparition
Le personnage, c'est Superman. Expédié marmot de la planète Krypton sous le nom de Kal-El, il échappe ainsi à la destruction de son monde pour arriver dans le nôtre (le Kansas). Il est recueilli par Jonathan et Martha Kent de Smallville, qui le prénomment Clark. Arrivé à l'âge adulte, il décide de cacher au monde l'étendue de ses pouvoirs (il vole, se déplace plus vite qu'un TGV et peut soulever un frigo rempli de victuailles avec l'ongle de son petit doigt), et de prendre l'apparence d'un timide reporter du Daily Planet, le journal de Metropolis. Désormais, il aura deux buts dans la vie (en gros) : empêcher le vilain Lex Luthor de devenir le maître du monde, et se taper sa collègue Lois Lane. Superman, protecteur de la vérité, de la justice et de l'American Way, est un super-héros très atypique malgré son statut de précurseur et de premier de la classe : créé par deux auteurs juifs de parents immigrés, il représente lui aussi par essence l'immigré qui tente de s'intégrer, tout en apportant sa pierre à l'édifice de la démocratie. A ce titre, son identité de Clark Kent est significative : il cache ses origines et sa nature afin de paraître "normal" aux yeux de ceux qui l'entourent ; son identité de Superman, en revanche, est un fantasme qui consiste à faire de la différence une source de puissance. Mais le super-héros ne peut pas exister en tant que tel dans la société, il a besoin de son alter-ego Clark... qui n'est pourtant qu'un déguisement.

Années 40 : politique

Lorsqu'il apparaît pour la première fois en juin 1938 dans le numéro d'ouverture de Action Comics, Superman porte déjà le costume sous lequel il reste connu aujourd'hui, à l'exception des bottes et de la forme de son logo. Son caractère, en revanche, apparaît bien surprenant au lecteur habitué à l'image du boy-scout au service du Président des Etats-Unis qu'il véhicule traditionnellement : plus soucieux de faire régner la justice que de protéger les droits du citoyen, il pète des portes, tabasse des maris violents et menace les sénateurs malhonnêtes. A vrai dire, sa personnalité tient plus du Batman qui naîtra l'an d'après que du Superman connu à présent.

1940 : Hitler prend cher
1940 : Hitler prend cher
Très rapidement, Superman est confronté à une sombre réalité : la guerre éclate de l'autre côté de l'Atlantique (le nôtre, donc). Particulièrement sensibles au conflit, Siegel et Shuster réalisent dès février 1940 une histoire en deux pages intitulée How Superman would end the war, où le héros s'en va choper Hitler et Staline par le col pour les présenter à une cour Suisse qui les déclare coupables d'agression envers des pays sans défense. Naïf, mais engagé. Par la suite, le personnage devra même s'engager plus encore, car le citoyen américain qui est invité à aller se battre en Europe lit souvent des comics, et doit se savoir soutenu par Superman. Celui-ci se tient globalement éloigné du conflit, mais encourage les troupes avec ferveur, notamment dans l'épisode America's secret weapon (écrit par Don Cameron et dessiné par Sam Citron) dans lequel le héros déclame que l'arme secrète de l'Amérique, c'est le courage du soldat anonyme. Cette fibre patriotique vibrante qui anime le personnage a donc été développée à cette époque-là, qui la justifiait. Mais il ne la perdra jamais par la suite, ce qui en fera à la longue un objet de moquerie, contrairement à son collègue Batman, qui a toujours roulé pour sa pomme. Durant la guerre, Superman est présent à la fois dans les magazines, à la radio et au cinéma sous la forme d'une série de dessins animés superbes signés des frères Fleischer.

Si tous les éléments constitutifs de la mythologie n'apparaissent évidemment pas dès 1938, la plupart datent pourtant des années 40 : Clark Kent et Lois Lane travaillent d'abord au Daily Star, mais celui-ci devient le Daily Planet dès avril 1940, dans le premier épisode à mettre en scène Lex Luthor (qui ne porte pas encore son 1943 : l'effort de guerre
1943 : l'effort de guerre
prénom mais arbore une cocasse tignasse rousse au lieu de sa calvitie légendaire). Jimmy Olsen apparaît lui aussi dans la première moitié des années 40, succédant à un personnage similaire appelé Joey Crane, ainsi que les traditionnels vilains Toyman et Mxyzptlk (le gnome d'une autre dimension à qui il faut faire dire son nom à l'envers pour le chasser !). En revanche, il faut attendre plus de dix ans après la création du personnage pour qu'il apprenne l'existence de la Kryptonite, dans un épisode de 1949 signé Bill Finger (co-créateur de Batman, souvent ignoré au profit du seul Bob Kane) et Al Plastino. C'est également au cours de cette décennie que DC Comics décide de raconter, en parallèle des aventures de Superman, celles de l'adolescent qu'il était à Smallville : Superboy. Quant au dessin (un peu maladroit au début) de Shuster, il s'améliore rapidement et s'enrichit surtout de l'apport régulier de Wayne Boring et de quelques autres artistes récurrents sur la série.

Années 50 : boy-scout

A partir du milieu des années 50, les puristes considèrent que le Superman proposé par DC Comics n'est plus celui que l'on a connu dans les années 40, mais celui de "Terre I" (l'autre étant résident de "Terre II"). On reviendra sur ce concept étrange en abordant les années 70. Les lecteurs de l'époque, de toute façon, ne se préoccupent pas de ce genre de considération, et sont bien plus intéressés par le constat suivant, qui s'impose tout au long de la décennie : Superman est loin d'être le seul survivant de la planète Krypton ! Il commence par rencontrer, en 1950, trois frères criminels exilés jadis par son père Jor-El (ils préfigurent le général Zod et ses aides de camp). En 1953, il croit rencontrer son grand frère, une anecdote sur laquelle on passera l'éponge puisqu'il s'agit en fait d'un quiproquo... mais en 1959, il se découvre bien une cousine, restée célèbre sous le doux nom de Supergirl. La blonde Kara est la fille de Zor-El, frère du père 1950 : les vilains complotent
1950 : les vilains complotent
de Superman, et s'avèrera aussi futée que son cousin pour se mêler aux humains : sous le nom de Linda Lee, elle trompera ses proches en portant simplement... une perruque brune sur ses cheveux blonds. Moralité : les filles, attention quand vous faites des colorations, on risque de ne plus vous reconnaître. En 1955 et 1959, Sup se trouve deux compagnons venus de sa planète par le probable intermédiaire d'une fourrière spatiale : Krypto le super-chien et Beppo le super-singe. Au tout début des années 60, on verra également apparaître Streaky le super-chat et Comet le super-cheval. Les mauvaises langues disent qu'un projet de super-hippopotame a été refusé in extremis par l'éditeur au cours de cette période. Mais des survivants de Krypton, on en trouve également une ville entière, dans l'épisode de juillet 1958 paru dans Action Comics 242 : la première apparition de Brainiac, l'extraterrestre collectionneur (présenté plus tard comme un être synthétique) qui aime miniaturiser des villes pour les étudier comme des fourmilières. Le personnage est une reprise d'un autre vilain appelé Romado, apparu dans une aventure précédente de Superman et atteint de la même manie. Bien entendu, la ville kryptonienne Kandor ne pourra jamais retrouver sa taille normale, car sa planète hôte n'existe plus... Kal-El la conservera à l'abri dans sa Forteresse de Solitude (ça tombe bien, celle-ci a été introduite le mois précédent dans la bande dessinée).

En 1955, un autre extraterrestre pointe le bout de son nez : apparu dans Detective comics, J'onn J'onzz le Martian Manhunter sera développé au cours des décennies suivantes et formera la Ligue des Justiciers en compagnie, entre autres, de Superman, Batman, Wonder Woman, Flash et Green Lantern.

En 1957, Clark Kent rencontre la fille qui le fait presque dévier de sa vie sentimentale que tout le monde pensait bien équilibrée (Lois Lane la semaine, Lana Supergirl et les conseils du cousin
1959 : Supergirl et les conseils du cousin
Lang le week-end) ; il est même à deux doigts d'épouser cette Lori Lemaris en fauteuil roulant... avant de réaliser qu'il s'agit d'une sirène, ce qui pose des problèmes de compatibilité trop importants pour être ignorés ; le personnage restera récurrent au cours des deux décennies suivantes. En parlant de rencontres bizarres, impossible de ne pas évoquer celui qui a fait de l'étrangeté son nom : Bizarro. Apparu en juillet 1959, il est présenté comme un clone imparfait de Superman, une copie blanchâtre et stupide qui casse tout sur son passage mais ne possède pas un mauvais fond. Malgré sa nature pitoyable et sa bonne volonté, Bizarro est une telle catastrophe ambulante qu'il deviendra un des "adversaires" les plus célèbres du super-héros.

S'il pouvait, au cours des années 40, avoir une rebelle attitude limite anarchiste, les années 50 voient l'assagissement complet de Superman, qui devient officiellement le boy-scout le plus puissant du monde, cherchant à répandre le bien et la gentillesse sur son passage. Les intrigues ne sont pas bien méchantes, mais les plus sucrées d'entre elles sont parfois d'émouvants petits récits, comme cette histoire de la fillette aveugle qui ne croyait pas à Superman (mars 1955) : celui-ci fait des pieds et des mains pour la sortir de son scepticisme amer, avant de réaliser qu'il peut soigner sa cécité ; elle recouvre la vue, et retrouve foi en la vie... et en Superman ! Malgré la relative faiblesse scénaristique de cette décennie, la popularité du personnage est au pinacle : après deux serials cinématographiques d'une dizaine d'épisodes, il donne naissance à une série télé (avec George Reeves), et les personnages secondaires se voient décerner leur propre magazine (Superman's girl friend Lois Lane et Superman's pal Jimmy Olsen). Quant à l'homme d'acier, il apparaît à la fois dans Action Comics, Superman, Adventure Comics et World's finest comics où il fait équipe avec Batman. Superman règne clairement en maître sur le monde des comics.

Années 60 : patriote

Dans sa troisième décennie d'existence, Superman commence à poser de sérieux problèmes à ses auteurs : à travers ses diverses aventures, il a progressivement été décrit comme un être de plus en plus puissant, allié à une armada d'autres super-héros (Batman et consorts, Supergirl, ainsi qu'une ligue de super-héros du 1960 : Clark Kent vous dévoile sa méthode de lessive
1960 : Clark Kent vous dévoile sa méthode de lessive
futur), de super-animaux et même de super-robots à son effigie, et rien ni personne ne semble pouvoir lui résister bien longtemps, pas même les caïds comme Brainiac ou Lex Luthor. Il passe son temps à vanter les mérites de son beau pays d'adoption (l'Amérique, est-il besoin de le rappeler), et sa principale préoccupation est de savoir s'il doit épouser Lois Lane ou Lana Lang. Les scénarios de cette époque sont globalement d'une indigence désespérante, dénués d'enjeux dramatiques et poussant l'invraisemblance dans des retranchements inacceptables : on verra régulièrement Superman et Supergirl voyager à travers le temps aussi facilement qu'on prend le métro, ou encore Superman se prendre une bombe atomique dans la poire dans le cadre d'un jeu (!) avec Batman. On apprendra aussi qu'avant d'être Superboy, le petit Clark était déjà d'un héroïsme fou sous le nom de Superbaby. Et qu'avant même d'être Superbaby ou de quitter Krypton (il devait donc avoir un an ou deux), il avait déjà affronté Brainiac. Les spécialistes sont encore à la recherche de l'épisode où, sous le nom de Superspermatozoïde, le tout petit Kal-El vivait déjà sa première aventure palpitante...

La meilleure idée des années 60, finalement, est due à l'éditeur Mort Weisinger : conscient de l'impasse narrative dans laquelle la série se trouvait à cause de la puissance du héros et de l'impossibilité de résoudre certaines intrigues (si les personnages mourraient ou se mariaient, c'était la fin de l'histoire), il développa le concept d' « histoires imaginaires ». On objectera que toutes les histoires de Superman sont imaginaires, et on aura tort : toutes celles qui appartiennent plus ou moins à la continuité officielle sont déclarées réelles, tandis que les histoires imaginaires se situent dans un continuum entièrement différent dans lequel tout peut arriver. Marvel reprendra le principe à son compte deux décennies plus tard avec le titre Et si ? Chez Superman (mollement imité par Batman et Flash, qui l'exploitèrent moins bien), le biais de l'histoire imaginaire permet tous les excès, bien que les intrigues se soient principalement concentrées sur les trois options suivantes : un personnage meurt, un personnage se marie, un personnage possède un lien de parenté inhabituel avec un autre (dans une histoire, Superman 1963 : coup de jeune pour Sup et Lois
1963 : coup de jeune pour Sup et Lois
est le frère de Lex Luthor, dans une autre il est le frère de Batman). Le plus amusant dans ces spéculations, c'est qu'une partie d'entre elles deviendra la base de véritables récits au cours des décennies suivantes : Superman mourra effectivement (mais il reviendra, héhé), il avouera bien son identité à Lois et l'épousera, etc. Si l'une de ces variations voit Superman confiné à un fauteuil roulant (une prémonition grinçante du destin réservé à l'acteur Christopher Reeve), la plus étonnante et la plus cruelle est probablement The three wives of Superman, parue en août 1964, où Superman épouse successivement Lois Lane, Lana Lang et Lori Lemaris, qui meurent chacune peu de temps après le mariage, dont une par la faute du super-mari ; dur.
Malgré les intéressantes possibilités qu'offrent les histoires imaginaires, la qualité globale des aventures de Superman est désormais franchement basse, et ne saurait rivaliser avec celle des premières productions Marvel : en face du papy des super-héros, Stan Lee est en train d'imposer les petits nouveaux Spider-man, Hulk, Iron Man ou encore le groupe des X-men. Si DC Comics maintient ses ventes à l'époque, c'est essentiellement grâce à la notoriété de ses personnages, parce qu'en terme de qualité c'est plutôt la lose. Au deuxième degré, on s'amusera néanmoins du côté "n'importe quoi" de ces scénarios rocambolesques, et de l'esprit incroyablement joyeux de ces bandes où peu de dangers menaçaient les héros (en-dehors, on l'a vu, des plus audacieuses histoires imaginaires).

La décennie des sixties est également celle durant laquelle Curt Swan s'impose progressivement comme le dessinateur officiel du héros de Metropolis. Ayant fait ses premières armes sur le personnage dès 1955, il sera de plus en plus régulièrement sollicité par DC Comics, jusqu'à devenir le dessinateur quasi-exclusif de la série au cours des années 70 et d'une partie des années 80. En gros, si vous avez lu Superman dans les années 60, 70 ou au début des années 80, il est très probable que l'image que vous en avez soit sortie du crayon de Curt Swan. Son style naïf mais exceptionnellement lisible et percutant constitue aujourd'hui une référence incontournable.

Années 70 : humain

Les années 70 marquent un premier changement de cap salutaire, avec l'arrivée de nouveaux scénaristes comme Cary Bates ou Len Wein. Le dessin est désormais le domaine réservé de Curt Swan, mais quelques artistes invités pointent parfois le bout de leur nez. C'est ainsi que Jack Kirby, pilier de Marvel, vient écrire et dessiner quelques histoires de la série Superman's pal Jimmy Olsen (et crée au passage le personnage du vilain Darkseid), tandis que Werner Roth (dessinateur des X-men dans les années 60) met en image une histoire dans laquelle Lois Lane devient noire : nous sommes en 1970, peu de temps après les émeutes raciales et 1972 : Superman n'est plus un bleu
1972 : Superman n'est plus un bleu
quelques mois avant le courant cinématographique dit de ‘blaxploitation' (Shaft, Superfly, Blacula...). Le message véhiculé est d'une candeur rafraîchissante, et pointe intelligemment du doigt le phénomène de ghettoïsation, un problème qui perdure malheureusement près de quarante ans plus tard...

Le Superman des seventies est donc débarrassé du caractère bouffon dont il s'était progressivement drapé au cours des années précédentes, ainsi que de la ménagerie dont il s'était encombré au passage (seul Krypto continue d'apparaître régulièrement). Globalement, l'heure n'est plus à la rigolade, le Vietnam est passé par là. Désormais, Superman va dérouiller, perdre ses pouvoirs, tomber malade, trouver des adversaires à sa taille. Pour être exact, le principal ennemi nouveau à pointer sa truffe est l'improbable Terra-man, le cow-boy de l'espace qui chevauche un étalon ailé ; mais les antagonistes classiques comme Brainiac ou Lex Luthor se font plus violents, plus actifs. Luthor devient un homme de terrain, et se pare d'un costume vert et violet comme celui de Brainiac et de la plupart des vilains : les couleurs sont symboliquement opposées au costume bleu, rouge et jaune de Superman, porte-étendard de la pureté des couleurs primaires.

Pour Clark Kent, la situation change aussi : le Daily Planet est racheté par Morgan Edge, businessman à la moralité douteuse qui oblige Clark et Lois à travailler pour le bulletin télévisé, au grand dam de l'éditeur en chef Perry White qui les aurait bien gardés pour sa feuille de chou. Clark est régulièrement présenté comme un individu 1974 : the Brainiac attack
1974 : the Brainiac attack
à part entière, plus seulement le brave couillon qui sert de couverture à son alter-ego super-héroïque. Ses tribulations purement humaines sont décrites dans la mini-série parallèle The private life of Clark Kent, dans laquelle on peut suivre sa vie professionnelle et personnelle, être témoin de son attachement à Smallville et des doutes qui le rongent... En tant que Superman, il ne gamberge pas moins : suis-je dans la bonne voie ? est-il possible que je sois une menace, une gêne ? suis-je trop puissant, pas assez à l'écoute ? On est loin de l'insouciance de la décennie précédente, le personnage a pris de l'épaisseur et de la complexité. L'univers du comics aussi : les lecteurs étant devenus plus exigeants, DC Comics décide de leur expliquer le concept de Terre I et Terre II : les super-héros des années 40-50 (Superman, Flash, etc.) étaient les habitants de Terre II, située dans un monde parallèle, tandis que ceux dont les aventures ont paru depuis sont ceux de Terre I. L'idée avait surtout pour but de justifier les graves changements d'identité des personnages comme Flash, mais permet au passage d'expliquer pourquoi Clark Kent travaillait pour le Daily Star, subitement devenu le Daily Planet ! 1978 est aussi l'année de la sortie du gigantesque film produit par Ilya et Alexander Salkind ; écrit par Mario Puzo, le scénariste du Parrain, et interprété par Marlon Brando et Gene Hackman (Christopher Reeve est la star mais personne ne le connaît : il n'apparaît qu'en troisième au générique), il remporte un succès fracassant et assure durablement la notoriété du personnage auprès des spectateurs du monde entier.

Années 80 : réinventé

1983 : le chant du cygne de Swan
1983 : le chant du cygne de Swan
La première moitié de la nouvelle décennie marque la fin du règne de Curt Swan et de ses histoires à la papa. Le monstre de la semaine vient prendre sa paire de baffes, Clark Kent présente le journal télé et n'arrive touours pas à décider s'il préfère Lois Lane ou Lana Lang. Malgré quelques récits percutants comme The day Earth died, la production de Swan est vieillotte et ne peut pas rivaliser avec les séries de Marvel, qui tiennent le haut du pavé en terme de qualité et d'inventivité. Difficile pourtant de changer de cap, d'autant que Swan est devenu un monument. Pourtant tout le monde le sait : Superman est un personnage rouillé, une nouvelle ère est indispensable.

La révolution a lieu en 1985 : désireux de mettre de l'ordre dans l'univers des personnages de DC Comics, perdus depuis de nombreuses années dans de sombres histoires de mondes parallèles et de personnages doubles, triples ou quadruples, le scénariste Marv Wolfman et le dessinateur George Pérez livrent le désormais célèbre Crisis on infinite Earths. Après avoir potassé près de 50 ans de personnages et d'histoires, ils compilent dans cette mini-série de 12 numéros (de janvier à décembre 1985) tous les éléments introduits par le passé, et secouent l'ensemble à l'aide d'un événement cosmique qui fait se rencontrer des individus issus de planètes, d'époques et de dimensions différentes ! Imaginez donc le quidam de 1985, soudainement confronté à un homme préhistorique d'une 1985 : Supergirl meurt
1985 : Supergirl meurt
dimension parallèle et à un extraterrestre du futur... Le résultat est un Bronx sans nom, qui mène à la mort d'un paquet de super-héros (parmi lesquels Supergirl et Barry ‘Flash' Allen) et à l'anéantissement de plusieurs milliers de dimensions. La bonne nouvelle, c'est qu'il n'existe plus désormais qu'une seule Terre, et surtout un seul Superman. On réalise mal aujourd'hui l'impact d'un tel changement. Le style du récit et du dessin de Crisis est lui aussi en rupture avec la tradition de Curt Swan : plus de questionnements existentiels, plus de caractère dans le dessin, les personnages de DC se décident à suivre la voie tracée par leurs voisins de Marvel. Swan prit plus ou moins sa retraite à cette époque, après avoir dessiné une aventure intitulée Whatever happened to the Man of Tomorrow ? écrite par Alan Moore ; il aura laissé durablement sa marque sur le personnage de Superman, qu'il aura animé de 1955 à 1986.

Le film de 1978 ayant été suivi de plusieurs autres (en 1980, 1983 et 1987), ainsi que de Supergirl en 1984 et d'une (consternante) série Superboy à partir de 1988, les spectateurs de cinéma deviennent des lecteurs potentiels de bande dessinée, mais ont besoin d'un Superman simple et abordable, dont ils pourraient suivre les aventures sans avoir une connaissance encyclopédique du personnage. Grâce à Crisis, une telle chose est désormais possible, il suffit de redéfinir les nouvelles bases de l'histoire ; l'homme de la situation s'appelle John Byrne : le scénariste-dessinateur, apprécié des lecteurs de Marvel pour son travail sur les 4 Fantastiques, accepte de réinventer Superman dans un tout nouveau magazine appelé The Man of Steel, initialement conçu comme une mini-série de 6 numéros. Pour la première fois depuis les années 40, les fans peuvent collectionner un magazine de Superman à partir du premier numéro, et Byrne reprend la saga à sa base : la destruction de Krypton, la jeunesse de Clark, son arrivée à Metropolis... Il en profite pour changer un paquet d'éléments d'importance variable : les parents Kent ont survécu (dans les histoires précédentes, ils étaient morts d'une maladie 1987 : John Byrne décrasse le mythe
1987 : John Byrne décrasse le mythe
avant que Clark parte à Metropolis), Lex Luthor n'est plus un simple savant fou mais un homme d'affaires si puissant qu'il ne craint pas la justice, Clark et Lois ne travaillent plus à la télévision mais sont reporters du Daily Planet comme aux premières années, Superman doit se raser (alors qu'il était établi que sa barbe ne poussait pas sur Terre)... il va jusqu'à modifier le caractère même de Clark Kent, qui devient moins timide et justifie sa carrure d'athlète par une pratique régulière des haltères. Une partie des fans crie au scandale, estimant que "leur" Superman ne pouvait pas être balayé du revers de la main au profit d'une nouvelle version. Mais l'Homme d'Acier vu par John Byrne attire malgré tout une nouvelle génération de lecteurs, séduits par la fraîcheur de son dessin et par l'efficacité de sa narration. Le Superman nouveau est sans conteste agréable à l'œil et plaisant à lire, mais il est également plus patriote que jamais (nous sommes en plein dans les années Reagan) et frise l'autoparodie par moments.

Années 90 : christique

Tout était devenu trop simple, les années 90 s'ingénient à compliquer de nouveau les choses. Dès 1988, Supergirl était revenue, mais sous une forme différente ; elle est une espèce d'androïde capable de prendre différentes apparences (tant qu'à choisir, personne ne lui reprochera de prendre celle d'une blondinette volante en minijupe) ; en 1990, Lex Luthor meurt, et son cerveau est transféré dans un nouveau corps ; en 1991, Lois Lane est mise dans la confidence de la double 1993 : Décès comics ?
1993 : Décès comics ?
identité de Clark et devient son amoureuse officielle. Mais le véritable événement de la décennie se déroule de fin 1992 à début 1993 sur les différents magazines de Superman (The man of Steel, Action Comics, Justice League of America, The adventures of Superman et Superman) : la mort de Superman ! Se dressant contre une brute intraitable surnommée Doomsday, Superman fait un rempart de son corps pour protéger Metropolis, et castagne la bête jusqu'à l'épuisement... et la mort. Il triomphe de Doomsday au prix de sa propre vie. C'est la consternation, non seulement chez les lecteurs de comics mais également dans le monde. Le numéro 75 de Superman (v.2) est la bande dessinée la plus vendue de tous les temps (encore à ce jour). On en parle aux infos, dans les journaux généralistes : une icône est morte, un héros représentant l'Amérique depuis plus de 50 ans a cassé sa pipe. Cruelle ironie du sort, Joe Shuster est mort quelques mois plus tôt, en juillet 1992.

La popularité du personnage est si grande que les trois magazines qui portent son nom continuent à se vendre durant deux mois ; enterrement, tristesse des proches, machination consistant à récupérer le corps du Kryptonien pour le disséquer, les intrigues sont franchement déprimantes. Mais bien vite, une lueur d'espoir se profile : le reste de l'année 1993 est consacré à la résurrection du héros, dans un arc connu sous le nom de Return of Superman. L'affaire n'est pas simple : quatre individus font leur apparition à Smallville, chacun pouvant être Superman ressuscité d'une manière ou d'une autre ; clonage, reconstruction cybernétique, régénération par la machine kryptonienne appelée l'Eradicateur... bizarrement, le moins arrogant et le plus noble des quatre est un grand black en armure qui ne prétend rien de plus que de faire vivre l'esprit de justice de Superman. Au terme de cette intrigue (dont on ne vous dévoilera pas le fin mot au cas où vous auriez l'intention de vous farcir le pavé de 480 pages), Superman est de retour avec une seyante chevelure 1993 : back in black
1993 : back in black
mi-longue (comme le messie ? mais non ! mais si !), prêt à affronter de nouveau Doomsday, qui a lui aussi du mal à mourir.

Depuis 1993, la série TV Lois et Clark impose sa vision parallèle du mythe, axée essentiellement sur la romance entre les héros. Lorsqu'ils se marient en 1996, dans la troisième saison, la version papier est plus ou moins obligée de suivre le mouvement, pour ne pas déconcerter le lecteur occasionnel. Lois et Clark convolent donc en octobre 1996 dans le numéro spécial Superman: The wedding album, et restent à ce jour mari et femme ; Superman n'est pas le genre de mec à demander le divorce. 1996 est également l'année du lancement de la série animée Superman : L'ange de Metropolis dans l'esprit de la série Batman entamée en 1992 ; moins réussie, moins mature, elle permet toutefois de réconcilier le jeune public avec le personnage, après que Lois & Clark ait fédéré le public féminin. Malgré ces nouveaux départs, 1996 est également une année de deuil : Jerry Siegel est mort en janvier, et Curt Swan en juin.

De 1997 à 1998, une tentative de changer radicalement Superman prend la forme d'une saga appelée New Power. Le héros se retrouve affecté de nouveaux pouvoirs, d'un nouveau costume et d'une peau bleue. Inutile de dire que la sauce ne prend pas (et puis on a déjà vu ce genre de choses dix ans plus tôt chez Marvel), et tout rentre dans l'ordre bien vite. Superman est alors séparé en deux entités : Superman-bleu et Superman-rouge (une idée piquée directement à l'une des histoires imaginaires des années 60). Il retrouvera son unicité dans un numéro spécial destiné à célébrer ses soixante ans d'existence. Pour clore une décennie décidément chargée, Lex Luthor rachète le Daily Planet et licencie Clark Kent...

Années 2000 : iconique

Devenu depuis longtemps un personnage incontournable de la culture américaine, Superman n'a plus de secret pour personne. Ses nouvelles adaptations à l'écran reflètent bien cette popularité extrême : la série TV Smallville (2001-2009) et le film Superman returns (2006) jouent tous les deux sur la connaissance préalable du héros par le public. De la même manière, les récits proposés en bande dessinée 2005 : c'est à nouveau la crise
2005 : c'est à
nouveau la crise
supposent pour la plupart que le lecteur connaît ses classiques. On pourrait parler du Superman ré-imaginé par Stan Lee sur la demande de DC Comics (Juste imagine Stan Lee, 2001), mais l'exemple le plus flagrant de cette tendance est la suite de Crisis on infinite earths, sobrement intitulée Infinite crisis (2005) : sans avoir potassé les grands moments de l'histoire du personnage de 1938 aux années 2000, impossible de comprendre la moindre case de cet album truffé de réalités alternatives, où se croisent et s'affrontent trois Superman d'âges différents... Il est loin, le temps où John Byrne cherchait la simplicité. Heureusement, d'autres mini-séries comme l'excellent Red son (2003 : Superman version russe !) permettent plusieurs niveaux de lecture et restent accessibles aux néophytes. La dernière variation en date, All-Star Superman (2008), le montre atteint d'un mal incurable qui menace de mettre fin à sa vie ; l'album a été chaleureusement salué par Variety, le New York Times et Entertainement weekly...

Du côté de la continuité, Lex Luthor continue de surprendre en devenant président des USA ! Par ailleurs, un nouveau lifting appelé Birthright vient changer la donne en 2003 : le but est d'adapter, l'air de rien, la bande dessinée à la populaire série Smallville... Suite à cette mise au point, DC renouvelle en profondeur l'équipe de scénaristes et de dessinateurs qui travaillent sur les différents magazines de Superman, et engage notamment l'inimitable Jim Lee, connu pour son travail sur les X-men dans les années 90 ; son choix s'avère parfait pour illustrer la saga For 2008 : up, up and away vers de nouvelles aventures
2008 : up, up and away
vers de nouvelles aventures
tomorrow (2004). C'est à cette période que Kara / Supergirl fait son retour, près de vingt ans après sa mort dans Crisis... A court d'idées pour insuffler de la nouveauté au monde de Superman, les auteurs décident de lui retirer ses pouvoirs en 2006 à l'issue de Infinite crisis... Rien n'y fait : de même que sa résurrection était inévitable en 1993, le retour de ses pouvoirs a lieu quelques mois plus tard, dans le crossover One year later.

La dernière expérience en date a pour titre Superman confidential, une série consacrée aux premières années de Superman (après l'adolescence mais avant la maturité, vous voyez ?), lorsqu'il rencontre pour la première fois la kryptonite, Toyman, etc. Lancé en novembre 2006, le magazine est arrêté en avril 2008 : les lecteurs préfèrent sans doute la nouveauté au rabâchage.


Avec ses 70 ans d'existence, Superman est probablement le plus vieux personnage de bande dessinée à être encore en activité, à égalité avec notre Spirou francophone (créé lui aussi en 1938). Pionnier de tout un pan de la bande dessinée, à tel point que bon nombre de gens associent automatiquement le terme "comics" à la seule littérature des super-héros, le héros créé par Siegel et Shuster a su capturer l'essence des idéaux de son pays (l'immigration vue comme valeur ajoutée, un patriotisme exacerbé, un manichéisme parfois dangereux) et toucher l'imaginaire du monde entier (qui n'a jamais rêvé de voler ?). Son étoile ne semble pas prête de pâlir...