Le Petit Illustré
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 03/08/2009 (Quatorze parties, dix-sept auteurs dont la plupart ont été dénichés sur Internet : l'initiative de la bretonne Anick Lilienthal, pour underground qu'elle soit, a tout pour susciter la sympathie.
Lorient est une ville bien mal nommée, puisqu'on la trouve en plein Far-west français, en Bretagne. C'est là-bas que nichent les éditions du Moule à Gaufres, un label indépendant qui vient d'éditer un recueil bien underground appelé tout
Pierre Tissotsimplement Le Petit Illustré. Derrière ce projet, on trouve la dénommée Anick Lilienthal et son association Arts et Compagnie, qui ont prospecté activement le web pour dénicher une quinzaine d'auteurs débutants ou méconnus, et leur offrir un espace d'expression. Le résultat : quatorze fois cinq pages, utilisées par chaque auteur (ou duo) comme bon lui semble. On trouve pêle-mêle de l'humour (noir ou pas), de l'illustration pure, du semi-autobiographique, du quasi-expérimental... Chez certains, on ne s'empêchera pas de trouver une certaine maladresse, ou une ressemblance avec d'autres bd connues, mais l'initiative reste de très bon aloi, et on souhaite que les 3000 exemplaires édités trouvent leurs acheteurs, afin qu'Anick Lilienthal puisse se consacrer à la suite : publier un album complet pour chaque auteur.
Au menu, on peut s'amuser à identifier différentes catégories :
- Les illustrateurs : Emre Orhun, qui signe la couverture, est le plus connu des contributeurs puisqu'il possède à son actif bon nombre de livres pour enfants ; les dessins sombres et torturés qu'il présente ici (réalisés entre 2003 et 2008) montrent que le jeune public n'est pas le seul auquel il aime s'adresser. Rudolphe Sebti, à qui on doit la conception graphique de l'album en compagnie de Samuel Kac, possède un univers plus coloré que celui d'Orhun, et incontestablement plus sensuel, voire sexuel...
- Les adeptes de la ligne claire : Le breton Pierre Tissot, avec son histoire Le livreur de pizza, rappelle fortement le dessin de Libon, avec ses yeux tout
Duyronds et ses pifs en doigts de pied. L'espagnol Puño, de son côté, œuvre en noir et blanc et dans un style encore plus anguleux, avec un jeune héros dont la tête allongée fait penser au Petit Christian de Blutch. - Les animaliers : Bien que leurs styles soient radicalement différents, deux auteurs seulement mettent en vedette des animaux. D'une part Damien, qui s'appelle en réalité Damien Lilienthal et dont les images sont mises en couleurs par Anick ; leur premier album est paru l'an dernier à compte d'auteur sous le titre Humeurs noires, et constituait un recueil de dessins d'humour noir, là où ceux du Petit Illustré sont plutôt des pamphlets politiques moyennement subtils. L'autre "animalier" est Nolwen Guégan, avec ses oiseaux expressifs que l'on croiserait volontiers dans un film d'animation ; vainqueur d'un concours amateur à St-Malo, il possède déjà une patte bien à lui et une précision admirable dans le dessin et le découpage.
- Les amateurs de polar : Louïc, de son vrai nom Loïc Guyon, n'est pas breton comme son prénom pourrait laisser croire, mais lyonnais ; apparemment fan d'histoires de gangsters, il intitule la sienne Chicago Blues et y joue sur l'effet de chute. Pour Samuel Kac aussi, et son scénariste Léo Gartien, les cinq pages reposent sur la chute, mais l'esprit est davantage celui de la série Alfred Hitchcock présente.
- Les fantastiques : Gox (scénario-dessin) et Sinok (couleurs) fonctionnent en binôme, avec un style graphique qui manque encore de maturité mais un goût pour la science-fiction qui peut rappeler les premières heures de Métal Hurlant. Duy, assurément l'une des plus grandes révélations de l'album, est
Mancikoun Canadien vietnamien de 16 ans dont l'univers étrange et peuplé de cyclopes devrait faire parler de lui dans les années à venir. - Les expérimentaux : Manciko, avec son monde bizarroïde en noir et blanc, pourrait trouver sa place au sein de L'Association, et joue dans son histoire Kapaventur d'une mise en abîme curieuse racontée à coups de cases surchargées. Francky, dégainant une équipe de super-héros bancals, possède un style fait de bric et de broc, que l'on pourrait rapprocher de Pierre la Police.
- Les broyeurs de noir : David Snug, ex-étudiant en Beaux-Arts, s'appelle en réalité Guillaume Cardin ; son épisode autobiographique déploie un style narquois dans un noir et blanc oppressant, où il se gratifie d'une tête de psychopathe peu recommandable. Patrick, avec ses historiettes morbides et expressionnistes, ravira les inconditionnels de Tim Burton.
3000 exemplaires à 14.50 € ? C'est faisable. Pour le lecteur désireux de participer à l'aventure, le plus dur est de trouver l'objet ; pour se faire, il est recommandé de consulter le Myspace des éditions du Moule à Gaufres.