Long John Silver tome 2 vs. Aguirre tome 1
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 20/10/2008 (Tags : silver long john tome neptune lauffray dorison
Aguirre le conquistador ou Long John le pirate ? A deux cents ans d'écart, le personnage historique et le héros de fiction se rendent au même endroit, l'un pour Carabas et l'autre pour Dargaud.
En 1561, Lope de Aguirre meurt aux Amériques, après s'être rebellé contre le roi Philippe II d'Espagne qui l'y avait envoyé pour piller les ressources locales. Ses dernières années sont évoquées par Richard Marazano et Gabriel Delmas dans l'album Aguirre, le principe de Dieu paru chez Carabas cette année.
Deux cents ans plus tard, en 1785, il semblerait que la cupidité ait toujours droit de cité dans le cœur des hommes (et des femmes) : Xavier Dorison et Matthieu Lauffray proposent avec Long John Silver (chez Dargaud) une nouvelle expédition du héros de L'île au trésor, en route vers ce qu'on appelle encore le Nouveau Monde.
On aurait pu comparer le deuxième tome de Long John Silver à l'autre album de piraterie du mois dernier, Le diable des sept mers paru chez Dupuis. Mais finalement, pourquoi ne pas le rapprocher d'un autre récit de cupidité dont l'objet est également l'or des Indiens d'Amérique ? Aguirre et Long John sont deux figures
d'égale célébrité, bien que l'un ait existé alors que l'autre est fictif. Le premier a engendré un bon paquet de livres, ainsi que deux films en 1972 (avec Klaus Kinski) et 1988 et une bande dessinée chez Soleil en 1991. Le deuxième a inspiré une ribambelle de films, jusqu'au navrant L'île aux trésors franchouillard de l'an dernier. C'est pourtant un sort inhabituel que le neuvième art a réservé ici à ces deux légendes...
Faire l'Aguirre, pas l'amour
Aguirre atterrit entre les mains de Marazano et Delmas, deux auteurs atypiques : le premier est aussi à l'aise dans la science-fiction existentielle (Le complexe du chimpanzé) que dans le récit intimistonirico-historique (Minik), et le deuxième est un fidèle de Carabas, chez qui il peut verser dans l'expérimental ou la SF destroy, comme scénariste ou dessinateur (ou les deux à la fois). Leur alliance sur ce titre
donne forcément naissance à un bébé étrange, à la croisée de l'évocation historique érudite et du trip existentiel introspectif. Visuellement, conquistadors comme Indiens s'inclinent devant la palette chromatique narcotique de Delmas, qui assène les camaïeux de jaune ou de violet jusqu'au point de brouiller la frontière entre réalisme et vision hallucinatoire. Le dessin lui-même ne s'aventure pourtant jamais vraiment au-delà des visages des personnages, ce qui est normal étant donnée la quantité de dialogues que Marazano leur fournit (certains phylactères ont même parfois deux propriétaires, lorsqu'un interprète est en jeu). L'album est fascinant et original, mais on attend le deuxième et dernier volet La colère de Dieu pour se faire une opinion globale.
Boite de nuit
Le deuxième tome de Long John Silver, après un premier album en forme de long prologue, amène enfin les personnages sur les flots, qui ont le double avantage d'être le territoire des pirates et de justifier le titre Neptune, dieu de la mer chez les Romains (et accessoirement nom du rafiot sur lequel se déroule l'histoire). Dans une ambiance tendue, les protagonistes se regardent en chien de faïence en se demandant qui fera le premier geste pour prendre le pouvoir : Lady Vivian Hastings, par la séduction ? Long John Silver, par son ascendant sur les marins ? Ou bien Lord Hastings conservera-t-il sa position de capitaine, qu'il est prêt à
défendre par les pires des violences ? Dépaysé par ce climat d'intrigue, le docteur Livesey Dantzig se demande quelle est sa responsabilité, et à qui sa loyauté doit aller... Traversé de visions plus impressionnantes que celles du premier tome, doté d'une histoire logiquement plus nerveuse et de péripéties radicales, Neptune constitue le véritable démarrage de l'aventure, qui se prolongera et s'achèvera dans les deux tomes suivants. Dorison partage désormais le scénario et les dialogues avec Matthieu Lauffray, et leur collaboration semble d'autant plus fructueuse qu'elle inspire au dessinateur quelques planches réellement magiques. Tous mus par la soif de l'or, les personnages révèlent toute la noirceur de leur caractère, mais semblent paradoxalement moins fous que l'Aguirre qui s'insurge contre la cupidité de ses supérieurs...
Introspection hallucinogène ou aventure épique, Aguirre et Long John Silver se défendent tous les deux. Mais à choisir, on embarquera plus volontiers sur le bateau du pirate à la jambe de bois.