7.5/10Lefranc - Tome 4 - Le repaire du loup

/ Critique - écrit par riffhifi, le 18/10/2009
Notre verdict : 7.5/10 - L’heureux perdu loue le repaire du loup (Fiche technique)

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Casterman propose une jolie réédition améliorée de ce classique des années 70, unique album de Lefranc dessiné par Bob de Moor. Le reporter-justicier y chausse les skis pour résoudre le mystère de Saint-Loup.

Initialement paru en épisodes dans Tintin, en 1970, Le repaire du loup ne connaît une première édition en album qu'en 1974, chez Casterman. Il faut dire que l'éditeur n'a repris le flambeau de la série qu'au tome 3 en 1965, et n'y accordait qu'une importance modérée. Les temps ont changé, et voilà ce quatrième album de Lefranc réédité à l'occasion de la sortie du vingtième (un grand cru aussi, soit dit en
passant). On note deux bizarreries dans la forme : une maquette à l'ancienne empruntée au Lombard, alors que l'album n'y est jamais paru, et une image de couverture un peu trop james-bondienne dont on ignore l'origine, alors que
Jacques Martin avait conçu plusieurs autres projets en 1974 ; mais on apprécie par ailleurs le beau papier d'impression, et les quinze pages de bonus en fin de volume qui apportent un éclairage intéressant sur les sources d'inspiration, une lecture analytique possible, et proposent quelques dessins originaux et photos des auteurs à plusieurs époques de leur vie. Car ce qui fait l'unicité de ce Repaire du loup, c'est qu'il soit le fruit de la collaboration de Jacques Martin et Bob de Moor, un duo qui ne se sera jamais reformé par la suite.

Si le nom de Jacques Martin s'est inscrit dans l'Histoire du neuvième art pour avoir créé Alix, Jhen et bien entendu Lefranc, celui de Bob de Moor est souvent resté dans l'ombre des séries des autres : il a collaboré avec Hergé sur de nombreux albums de Tintin sans jamais y voir son nom, avec Edgar P. Jacobs sur Blake et Mortimer de la même manière, et n'a achevé Les 3 formules du professeur Sato après la mort de Jacobs que pour mourir lui-même deux ans plus tard, en 1992, alors qu'un nouveau Lefranc avec Martin était à nouveau à l'ordre du jour. L'amateur de la série devra donc se contenter du tome 4 de la célèbre série, qui bénéficie de l'écriture d'un scénariste rôdé mais pas encore asséché, et du dessin d'un artiste discret mais ultra-doué, qui sait pratiquer l'épure de la ligne claire sans pour autant dépouiller l'ambiance de son réalisme. A ce titre, la composition des cases s'avère souvent admirable, témoignant d'une grande recherche formelle sans pour autant de révéler tapageuses : voir à ce titre la huitième case de la page 18, avec ce pistolet à mi-chemin entre deux mains, déposé à la croisée des trois
couleurs primaires...

L'intrigue est inspirée à Jacques Martin par un authentique village suisse : il y remarque un hôtel abandonné sur une montagne, à l'écart de tout. S'interrogeant sur son histoire, le scénariste en invente une de toutes pièces et y plonge son héros Lefranc, dont le travail de journaliste paraît bien secondaire puisqu'il est investi d'emblée d'un statut quasiment officiel de justicier-enquêteur-sauveur... Il faut bien dire que les actes de terrorisme qui frappent Saint-Loup ont de quoi inquiéter ses habitants, d'autant que chaque destruction est suivie d'un rire angoissant et presque surnaturel.

Evoluant dans une enquête d'une grande pureté narrative (pas d'intrigue secondaire ni d'interférence de la vie privée du héros, décor dépouillé aux points de vue esthétique et constitutif), Guy Lefranc débrouille les fils d'un problème qui aurait pu aussi bien se résoudre à coups de bonne volonté et de communication. Mais les hommes de bonne volonté sont rares, et la plupart des autres ont besoin qu'on leur botte le train par moments. Au-delà de la leçon de morale gentillette mais dispensée sans lourdeur, l'album déploie suspense et action au rythme de quelques péripéties bien menées, dans le plus pur style franco-belgo-ligne-claire-réaliste-70s.