Idées noires
Bande Dessinée / Critique - écrit par iscarioth, le 10/08/2006 (Tags : idees noires franquin page depression livres  
Corrosif, antimilitariste, anticlérical, écologique et désabusé, Idées noires est le pamphlet de Franquin. Un album alarmiste et désespéré mais pourtant très drôle. Son chef d'oeuvre.
Bédéphile ou pas, nous connaissons tous André Franquin. Gaston Lagaffe et Spirou, ses deux personnages fétiches, se sont imposés comme des figures
incontournables du neuvième art, au même titre que Tintin, Astérix et autres Schtroumpfs. Certaines de ses autres oeuvres comme les Tifous ou Modeste et Pompon ont connu un succès bien moindre et sont tombés dans l'oubli. Idées noires, un diptyque paru en 1981 et 1984, possède quant à lui un statut particulier. Ignoré ou tout au moins méconnu du grand public, Idées noires est l'album de Franquin le plus porté en éloge par les grands passionnés de bande dessinée. Son chef d'oeuvre, dit-on souvent.
« Gaston trempé à la suie »
Les artistes composent leurs meilleures créations dans la souffrance, parait-il. Le propos le plus colporté sur les Idées noires, c'est que Franquin les auraient dessinées alors qu'il traversait une longue et intense période de déprime. La lecture des interviews de Franquin et cette célèbre phrase nous amènent à penser ce mythe de manière moins sèche : « Cela vient sûrement d'une tendance à la dépression qui n'était pas mortelle car ce sont tout de même des gags pour faire rire, non ? ». La période de dépression d'André Franquin arrive en fait en 1982. L'origine des idées noires remonte à quelques années plut tôt. Le 17 mars 1977, le Journal de Spirou publie un supplément, Le trombone illustré, dans lequel paraissent les premières planches d'Idées noires. « Il était impossible d'aborder certains thèmes dans Spirou. Or, j'avais évolué, j'en avais besoin ». Trente numéros plus tard, face aux réactions hostiles de certains membres de la rédaction, de lecteurs et d'association, Le Trombone illustré s'éteint. Le ton du supplément était vraisemblablement trop acerbe, surtout placé en accompagnement du très guilleret journal de Spirou. Quelques années plus tard, en 1981, les éditions Audie/Fluide Glacial publient l'album des Idées noires. En 1984, sous la pression du public, Franquin accepte de publier le second opus, au format à l'italienne, compilant les quelques planches encore non publiées. Les choses s'arrêtent là et Franquin refuse d'aller au-delà de son total de 64 planches : « Ces albums étaient plus pessimistes que révoltés. Cela devenait trop facile, il existe tant de choses négatives.... J'ai décidé d'arrêter les Idées noires parce que je sentais que cela devenait trop noir. En quelque sorte, j'avais peur. »
« Il ne faut pas confondre... »
Ce petit historique passé, il est grand temps de se pencher sur la nature de cette oeuvre. Les Idées noires, qu'est ce que c'est ? Les Idées noires, c'est tout d'abord une oeuvre... noire. Des planches réalisées en noir et blanc et dans un style très particulier. Les personnages prennent l'apparence d'ombres à peine illuminées par quelques portions ou traits blancs venant imposer un relief, une texture. Le dessin est gribouillé, nerveux, agressif mais ô combien maîtrisé. Les gags, en une planche, fonctionnent sur le mode de la chute et prennent un ton délibérément cruel et pessimiste. Franquin s'en prend à tous ces hommes qui méprisent leur environnement et détruisent par simple plaisir. Il se montre sans concession avec les chasseurs, mais pas seulement. Avec les Idées noires, Franquin milite, il se positionne contre la peine de mort, contre la négligence humaine, l'homme, qui s'anéantit lui-même. L'auteur se montre aussi rageur envers les militaires et religieux. On est habitué à voir les valeurs humaines représentées positivement par Gaston, qui incarne l'espoir et la gaieté. Avec Idées noires, on change complètement de registre, Franquin se fait porteur d'un regard très pessimiste et cafardeux, sans pour autant oublier d'être drôle.
Corrosif, antimilitariste, anticlérical, écologique et désabusé, Idées noires est le pamphlet de Franquin. Un album alarmiste et désespéré mais pourtant très drôle. Son chef d'oeuvre.