8/10Vasco - Tomes 4 à 6

/ Critique - écrit par athanagor, le 22/07/2009
Notre verdict : 8/10 - Le lombard du Lombard (Fiche technique)

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Le Lombard présente le deuxième exemplaire des intégrales de Vasco par Gilles Chaillet, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ont bien eu raison. 

Passés les effets étranges des premiers dessins de Chaillet en solo, avec des visages aux yeux bizarres et des corps aux proportions discutables, apanages des premiers ouvrages, on retrouve ici un style plus ferme et plus certain, que l'auteur continue à proposer dans un environnement architectural particulièrement réussi. Ses qualités de scénariste prennent elles aussi de l'étoffe et, toujours dans une réalité historique la plus juste possible, il insère des intrigues de plus en plus abouties, touchant parfois au conte philosophique.

Vasco est un personnage dont les deux principaux attributs, plutôt en contradiction, servent toujours les histoires avec bonheur. Premièrement Vasco n'est pas un clampin, c'est le neveu du plus riche banquier de Sienne. Partant, il est fréquent que le jeune homme soit délégué pour rendre visite, de par le monde connu et civilisé, aux clients dudit banquier. Montrant à quel point l'argent dirigeait alors déjà le monde, cela permet à l'auteur de placer son action dans nombre Couverture de L'Intégrale T.2
Couverture de l'Intégrale T.2
d'endroits dont le moyen-âge put s'enorgueillir. Sa deuxième caractéristique c'est sa jeunesse et la fougue qui en résulte. En contradiction avec ses fréquentes missions d'émissaire bancaire, Vasco fait plus appel à son cœur qu'à sa tête. Mais comme on accepte la déraison chez un enfant, on accepte ce trait de caractère de Vasco, d'autant plus facilement que c'est la ficelle qui fait que ces œuvres sont si attachantes. Vasco, par ses coups de sang et l'exposition de ses sentiments, ne fait pas qu'humaniser son seul personnage. Cet aspect profondément humain jaillit sur tout son environnement et c'est ainsi que son époque prend vie. Ainsi, et loin des aspects théoriques, souvent rébarbatifs, de l'Histoire, Chaillet nous montre des hommes qui vivent, évoluent et souffrent dans ce monde qu'on a plus l'habitude d'admirer solennellement dans le calme feutré des musées. Grâce aux superbes représentations, non seulement des immeubles et de l'environnement urbain, mais aussi des paysages, Chaillet, y introduisant ses personnages, donne une vie incroyable à l'ensemble. On regrette alors de ne pas avoir lu ces ouvrages quand, étant plus jeune et sur les bancs d'école, on nous déballait par le menu la suite d'événements, factuels, froids et distants, qui conduisirent tel roi sur tel trône. Chaillet donne envie, comme
Merle ou Druon, de reprendre ses livres d'Histoire et de se réapproprier son héritage.

Les sentinelles de la nuit : C'est dans une Cappadoce occupée par l'empire mongol que Vasco se retrouve empêtré pour cet épisode. Escortant la fille du Basileus de Constantinople, Sophie, avec qui il finira par jouer à se toucher le frifri, il se retrouve prisonnier des geôles de Kayseri. Grâce à quelques citoyens grecs, Vasco et ses compagnons parviennent à fuir pour trouver refuge dans les troglodytes, où ils feront une singulière découverte.

Histoire simple qui sent bon tous les ingrédients de la bonne vieille aventure médiévale, avec ce melting-pot moyen-oriental, ces poursuites à canasson, ces remparts assiégés et cette jeune fille houspillée par des soudards avant de se retrouver dans les bras du bel éphèbe, elle jouit (l'histoire, pas la... quoique) du graphisme irréprochable de Chaillet. On sent le grand plaisir que l'auteur a eu, au prix d'un immense travail, à la représentation grandiose de ces villes et de ces paysages, sans oublier les majestueuses troglodytes abritant soit une églises, soit une demeure cossue, soit un garage Renault. Quoiqu'encore un peu léger sur les expressions, limité en cela par son style très réaliste, Chaillet y développe tout de même un beau voyage.

Les Barons : De loin le récit le plus réussi des trois, évoluant pourtant dans une campagne
qui ne donne pas réellement à l'auteur de quoi exercer ses talents d'urbaniste, Les Barons est une sorte de conte philosophique très prenant et, au final, très triste, sur l'orgueil. Entouré de nobles et de banquiers allemands, Vasco devra démêler les écheveaux d'une sinistre machination et d'un chantage à l'honneur. C'est d'ailleurs cet honneur, puissante machine qui pousse les hommes à l'héroïsme sur les champs de bataille et à l'ignominie dans les ruelles sombres, qui mène toute la danse. L'honneur maladif de la noblesse et l'honneur revendiqué par les notables et les bourgeois, tous opposés dans une lutte de pouvoir ; honneur porté haut et grand, jusqu'à ce que devenu trop lourd il s'abatte dans d'indicibles douleurs sur l'entourage immédiat, n'épargnant pas plus les amis que les ennemis. Ce périple allemand permet à Chaillet d'exercer son trait dans un décor particulier, où le rouge des apparats contraste fortement avec les couleurs très terreuses d'une nature continentale, plus froide que les climats que Vasco fréquente habituellement. Dans cette opposition on retrouve certaines émotions que l'on trouvait dans la peinture flamande des XVe et XVIe siècle, peinture dont Chaillet s'inspire d'ailleurs, comme le révèle le précieux dossier accompagnant l'intégrale, dévoilant un emprunt assumé à Jan Van Eyck.

Ténèbres sur Venise : Ce récit tourne autour de Marino Faliero, 55e doge de la Sérénissime, seul à avoir fini décapité, car convaincu d'entente avec la république
de Gênes, ennemi séculaire de Venise. Cette histoire offre de nombreuses possibilités à Chaillet, possibilités qu'il arrivera à mélanger dans un ouvrage instructif et divertissant. Premièrement et évidemment, quel bonheur pour lui de devoir s'atteler à la représentation de la ville de Venise, et quel talent y met-il : la chaleur de l'été et la rigueur de l'hiver se traduisent avec conviction sur les bâtiments au travers des différentes îles.

Deuxièmement, Chaillet peut exposer un style de personnage pour lequel il semble avoir une certaine affection, les martyrs de l'histoire, de ceux qui voulaient tout changer, pour le bien du plus grand nombre et généralement trahis par une noblesse accrochée à ses privilèges. Tel Rienzo dans Le prisonnier de Satan, Faliero est une image de réformateur malheureux au côté duquel le héros de Chaillet se rangera.

Dans un troisième temps, Chaillet ressert à Vasco son ennemi préféré, son Olrik à lui, Lorenzo son frère. Systématiquement accolé à la faction adverse, Lorenzo est le côté blond et sombre de Vasco, également au service des pouvoirs financiers, mais toujours en faveur de ceux qui prônent l'immobilisme. Il est ce que Vasco serait s'il n'était si jeune et si fougueux, et s'il n'écoutait pas tant son âme, mais il n'est finalement pas si méchant, pour une râclure de capitaliste. Enfin Chaillet se lâche un petit peu sur la représentation du corps, avec trois tétons lors d'une scène de pillow talkink et un passage de torture pour le jeune Vasco, donnant encore plus d'humanité à son personnage et au monde qui l'environne.

Ce sont de merveilleuses heures que celles passées à accompagner ce jeune homme sur les routes d'un monde qu'on ne connaît que très mal, et souvent par le biais de rapports ennuyeux. La vie qui se dégage de ces cités superbes, abritant des commerces, des complots, des conflits, rend passionnant le contexte et les intrigues, et toutes ces aventures dont il serait dommage de se priver.