9/10Smarra

/ Critique - écrit par athanagor, le 03/12/2009
Notre verdict : 9/10 - Bien qui Smarra le dernier (Fiche technique)

Tags : smarra nodier litterature charles nuit demons reve

Véritable essai, cette BD reprend un texte à la narration incertaine et en propose une structure, parfois réinterprétée. Et le résultat est là, admirable en lecture seule ou comparée.

Cette BD est une adaptation d'une nouvelle de Charles Nodier et, en fermant l'ouvrage, on est véritablement curieux de cette nouvelle, pour se donner un point de comparaison. Il ne faut surtout pas s'en priver. Premièrement, parce que le texte est aisément accessible sur internet, une adresse étant même donnée
dans la BD. Deuxièmement, parce que ce texte, qui ne nécessite pas plus d'une heure de lecture, est très bon. Troisièmement, parce que cela permet de vraiment appréhender le travail de
Patrick Mallet.

Smarra de Nodier est un texte à la structure étrange et au fil narratif confus, qui transporte le lecteur plus dans des impressions que dans des descriptions. En effet, la nouvelle n'est que discours, celui des protagonistes qui nous montrent les évènements qu'ils voient, sans se plier au style descriptif littéraire, comme si la parole était implicitement accompagnée d'images. Ce texte mystérieux par sa forme, on le traduit sans problème après avoir lu la BD. Et c'est là que le travail de Mallet commence. Le texte étant si vaporeux, il a été nécessaire que des analystes littéraires se fendent d'un résumé cohérent pour permettre au lecteur d'ordonner ce qu'il venait de lire. Et Mallet ne fait pas autre chose avec cette BD que de donner une structure au texte, que de rajouter les images manquant au récit du narrateur. Ce faisant, et sous la contrainte de son format, Mallet s'autorise des adjonctions et des interprétations qui n'ont pas d'existence dans le texte original, mais qui ne dénature en rien le principe de l'histoire. Ainsi, adoptant une ligne propre et extrapolant, au gré de ses inclinations, des éléments du textes, il reste dans les rails de départ et continue de proposer un récit poussé par les thèmes du désir, de la jalousie et de la culpabilité, thèmes
éminemment présents et mélangés dans le final onirique, auquel Mallet donnera un aspect nouveau.

Adoptant une solution personnelle, Mallet rénove le texte et le fait basculer du 19e au 20e, passant du fantastique éthéré au récit d'épouvante, grâce à un style très proche des hallucinations lovecraftiennes, surtout concernant sa conclusion, dont la suspension incertaine et pleine d'indicible se révèle digne du maître. Pourtant, il faudra noter dans le trait, une insistance sur les ombres évoquant la technique de la gravure. Par ce simple fait graphique, Mallet garde un pied dans le passé, évitant une trop forte identification à une époque proche de la photographie. Mélangeant des représentations "modernes" et des solutions visuelles classiques, il confirme la réalité de ces monstres et chimères, en affirmant d'une certaine façon qu'ils ont toujours existé et que leur capacité à terroriser les êtres humains ne souffre pas la contingence d'un style. Peu importe qu'on les peigne ou les filme, ils tirent leur force des ombres qui entourent chaque contraste, dans ce noir dont la crainte ne meurt jamais vraiment.

D'ailleurs, c'est avant tout ces représentations qui poussent à comparer la BD au texte d'origine. On veut savoir sur quoi Mallet s'est appuyé pour l'illustration des monstres et des lieux fantasmagoriques, et on découvre, comme on le suspectait, un grand rien.
Dans le texte, les descriptions sont laconiques voire inexistantes. Mais Mallet parvient à leur donner corps, fond et formes, tant et si bien que, à la lecture du texte, on ne peut plus se les représenter autrement. Créateur, au sens noble et étymologique du terme, il pose donc un jalon dans l'histoire et arrive à interpréter avec clairvoyance ce qui n'aurait dû rester qu'à l'état de verbe.

S'il ne suffit pas, pour juger d'une production, de regarder la quantité d'efforts fournie, mais aussi bien la qualité qui en ressort, on ne se trouvera pas déçu par cet ouvrage. Au delà du travail représentatif intense, il reste une histoire condensée, qui offre un moment de lecture fascinant et envoûtant. Cette BD est un superbe ouvrage de créateur, dont le seul point faible résiderait dans ce format carré, propre à la collection qui l'accueille, que d'aucun trouveront peu propice à une lecture aisée. Mais que cela n'empêche personne de s'abandonner à la magie qu'elle contient.