Segments - Tome 1 - Lexipolis
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 05/12/2011 (Tags : segments eur tome lexipolis livraison malka richard
Un ouvrage de SF facile comme il y en a tant et qui encombrent les tables des libraires mais qui est sauvé par un scénario prenant et efficace.
On a tous imaginé un jour où l’autre un monde dans lequel n’évoluerait que nos semblables, des êtres avec des idées et une façon de vivre identique à la nôtre, ce qui permettrait indubitablement un bonheur parfait et la fin de tous les conflits. Imaginons par exemple un monde où tout le monde fait la fête tous les soirs et pousse le volume à fond, fini de traverser la cour de l’immeuble à – 5° C pour demander de moins en moins gentiment de baisser le son car demain c’est boulot à 8h. Sur le papier, cela peut sembler enfin une solution à la vie en communauté mais en pratique et si on pousse le raisonnement un peu plus loin cela devient compliqué. Le gros problème, et cela est un thème favori de la science-fiction, c’est qu’une telle façon de faire confine très vite au fascisme et à l’annihilation de toute liberté personnelle ce qui est tout de même embêtant et ce qui apparaît au départ comme une solution devient pire que le problème de base.
Le monde créé par Richard Melka part de ce principe. Les concepteurs de
Les héros en fuite
« l’Union Galactique des fonctions segmentée » ont voulu mettre en place un monde duquel les conflits seraient bannis à jamais. Pour ce faire, ils ont placés sur sept planètes différentes des populations regroupées par affinités, couvrant le champ entier des possibles et des activités de l’homme. Ces sept secteurs – Travail, Ordre, Créativité, Spiritualité, Guerre, Echange et Jouissance – sont régis par sept guides dont on ne connaît quasiment rien si ce n’est l’immortalité. Tout cela est bien joli mais ne prend pas en compte la versatilité et la spécificité de l’Homme, créature absolument incapable de répéter inlassablement la même tâche jour après jour sous peine de péter les plombs. C’est le cas de Jezréel, astreinte au Segment de la jouissance et condamnée pour avoir refusé de participer à une orgie et de de consommer des substances psychotropes.
Lors de son jugement, elle fait la connaissance de Loth, jeune homme ayant posé problème dès son plus jeune âge car présentant les symptômes d’un bi-fonctionnel parfait, en contradiction avec le système mis en place. Cet album d’exposition permet de mettre en avant la complexité d’un monde imaginaire et totalitaire, mais cependant représentant d’une certaine réalité ou de dérives possibles dans notre monde. L’intrigue est posée pour les albums suivants, les héros ont une quête, un mystère plane au-dessus de Jezréel, et leurs sentiments l’un envers l’autre ne peuvent qu’évoluer.
Connu surtout pour être le dessinateur de la Caste des Méta-Barons, Juan Gimenez propose ici un dessin moins lisse même si l’on reconnaît aisément le
Chute galactiquestyle de l’auteur. Malgré des petits défauts graphiques comme des visages qui ne sont pas tout à fait identiques de case en case, l’ensemble reste cohérent bien que dénué d’originalité. On sent une maîtrise de la composition de la page et des effets graphiques efficaces, notamment les effets de vitesse qui confèrent un réel dynamisme au dessin. Quant au scénariste, son parcours atypique, il est avocat spécialiste du droit de la presse et a participé à l’album La Face Karchée de Sarkozy, lui permet de ne pas s’enfermer dans un seul style et de donner une dimension plus politique et sociologique à l’ouvrage. Ainsi, comme on peut le voir dans l’extrait fictif de l’encyclopédie galactique en fin d’ouvrage, Segments se situe dans la continuité de notre réalité, un avenir possible de conséquences déjà mises en lumière par les penseurs du XXe siècle.
Si au début l’aspect graphique n’est pas facile à aborder, ou du moins est surprenant, l’efficacité du scénario donne envie de s’accrocher. Rien de révolutionnaire pour l’instant mais un embryon d’idée qui, s’il arrive à terme dans de bonnes conditions peut fournir un album de SF honorable. Il faudrait surtout penser à changer la couverture racoleuse semblable à des milliers d’autres et manquant cruellement de modernité.