8/10Par les chemins noirs - Tome 2 - Les fantômes

/ Critique - écrit par Maixent, le 17/12/2008
Notre verdict : 8/10 - Tra vento e vento (Fiche technique)

Tags : david tome dessinee chemins noirs guerre histoire

Une oeuvre d'une forte qualité graphique qui pousse le lecteur à s'interroger sur sa place dans le monde. Une Vanité moderne sur plusieurs pages, traitée avec talent et culture sans pour autant être rébarbative.

Membre fondateur de L’Association, David B. a su à travers ses albums insuffler à la bande dessinée française une certaine noirceur sans pour autant dévier dans le sentimentalisme dégoulinant ou l’horreur pure. Ses récits souvent très sombres sont le témoignage d’une époque trouble, où chacun se cherche dans les méandres d’un monde sans cesse en mouvement où il est parfois difficile de trouver sa place. Ainsi ses récits sont d’une densité palpable, alliant aussi bien les difficultés du siècle que les tourments intérieurs de chacun.

Dadaïste au bistrot
Dadaïste au bistrot
C’est tout naturellement qu’il se tourne vers la période la plus perturbée du vingtième siècle européen, les années 20, période de délassement après la Première Guerre Mondiale, mais aussi période de doute où l’on voit la montée des fascismes en Europe.
David B. base son récit sur une réalité historique, la prise de Fiume par Gabrielle D’annunzio qui durera du 12 septembre 1919 à décembre 1920. Cette sorte de "Commune" à l’italienne, mêle nouvelles libertés et anarchie sous l’égide du poète, aventurier et dadaïste qu’est D’Annunzio. « L’état libre de Fiume » est éphémèrement reconnu puis écrasé par l’armée italienne. Se servant de cette originalité historique et de cette parenthèse dans l’histoire de l’Italie, David B. campe des personnages engagés, riches de passion amoureuse et politique.
Dans le premier tome, nous découvrions Lauriano, charmant jeune homme qui avait participé à la Grand Guerre dans les troupes d’assaut italiennes et découvrait tout comme le lecteur cette ville en dehors du monde, vivant en autarcie. Il nichait en compagnie de ses trois anciens camarades de compagnie dans le grenier d’une vieille bibliothèque et était déjà amoureux de la belle et vive d’esprit, Mina.
Ce deuxième tome est plus orienté politiquement, tout le décor et les personnagesGuerre
Guerre "à la Uccello"
 étant déjà en place, David B. a tout loisir de creuser plus en avant dans la complexité des personnages et des enjeux mondiaux. En effet, au début du tome, D’Annunzio, vieux, idéaliste et dépassé par les événements, prépare son attaque contre la Yougoslavie, persuadé d’être soutenu par tous. D’un autre côté, la part sombre de Lauriano apparaît de plus en plus présente. Hanté par les fantômes de ses camarades morts au combat, il décide de fuir Fiume avant la chute imminente de ce royaume utopique.

Un fantôme dans une foule de vivants morts
Un fantôme dans une foule de vivants morts
Servi par un dessin faussement tremblotant et aux poses statiques qui emprunte plutôt aux canons de la peinture contemporaine qu’à ceux de la bande dessinée, Par les chemins noirs nous entraîne loin dans une réflexion sur les dérives et les tourments humains. Dans un monde où les repères sont biaisés, les grandes idées de liberté côtoyant la répression la plus sordide, David B. ne propose pas de solutions mais alimente la réflexion avec talent. Une façon de mieux comprendre les incohérences de l’humain.
Son univers unique, peuplé de fantômes grimaçants, ensevelis sous une foule de vivants à moitié morts et encombré de vanités nous rappelle notre misérable condition de mortels. La composition graphique des cases est en cela remarquable qu’elle confirme la vision de l’auteur, et l’on perçoit un ressenti dans chaque dessin en particulier, ce qui confère à l’ensemble une cohérence visuelle et intellectuelle de premier choix.