9/10Leçon de choses

/ Critique - écrit par iscarioth, le 09/09/2006
Notre verdict : 9/10 - Et vlan ! Encore une réussite absolue (Fiche technique)

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Plus que jamais, Grégory Mardon est à saluer comme un auteur de très grande envergure.

Ah, Grégory Mardon ! L'auteur de Vague à l'âme, Corps à corps ou Incognito nous a tellement habitué à l'excellence qu'il est difficile de ne pas attendre ses nouvelles publications avec impatience. On attendait de Mardon qu'il nous livre le second opus d'Incognito, la série qu'il a entamée l'année dernière. Et finalement c'est un tout autre projet qui nous arrive, intitulé Leçon de choses et nous rapportant l'enfance de Jean-Pierre...

42712_250.Jean-Pierre, ce même Jean-Pierre que nous avons déjà vu dans Corps à corps et exploré avec Incognito. Mais cette fois ci, on ne s'intéresse plus au personnage adulte, mais enfant. L'enfance, c'est le thème majeur de ce one-shot. On compte Grégory Mardon parmi les auteurs les plus brillants de la veine quotidienne et intimiste. A la vue de la couverture de Leçon de choses, semblant donner dans l'imaginaire, l'onirique, on se demande si Mardon n'a pas choisi pour ce nouvel album de changer de registre. Eh bien pas du tout. Les débordements imaginaires, bien représentés en couverture, sont le seul effet des souvenirs d'enfance. Dès les premières pages, le ton est donné. Le narrateur est un enfant : « Avant, j'habitais en région parisienne et mon père, il a été muté, alors on est venus habiter ici parce que c'est pas loin de la ville où qu'il travaille maintenant ». Leçon de choses est l'album le plus contemplatif que Mardon ait composé à ce jour. Il y a de nombreuses planches muettes dans l'album, composé de 80 pages au total. Plus que jamais, un album de Mardon s'observe autant qu'il ne se lit. On retrouve dans chaque vignette un détail, une sensation, un souvenir se rapportant à notre enfance. La peur de la nuit, sur le chemin de retour de l'école en hiver, les dimanche ennuyeux, l'imagerie religieuse terrifiante, les affaires familiales et problèmes d'adultes et, surtout, l'imaginaire.

42711_250.L'imaginaire de l'enfance, si intense et difficile à retranscrire. Grégory Mardon est l'un des rares auteurs à y parvenir. Qui n'a jamais observé un enfant à la piscine, dans un bain de même pas un mètre mais qui s'imagine à bord du Titanic ou aux commandes d'un jet ski ? Un coin d'herbe, un bout de papier, une forme, un son, et l'imagination fait le reste. C'est cet imaginaire florissant, doux-amer, que Mardon nous rappelle. Il y a aussi le rapport au monde adulte. Les problèmes parentaux qui dépassent complètement les enfants mais les marquent pourtant durablement. A l'aide d'effets de plan (contre-plongées nombreuses) et de déformations multiples, Mardon nous rappelle notre ancienne perception du monde. L'auteur excelle par son sens du détail : ces marches qui paraissent si grandes à enjamber lorsque l'on est petit (page 33), ces adultes qu'on divinise ou qui terrorisent (page 55)... Le danger, dans la veine de l'intimisme, est celui de trop souvent se répéter. Grégory Mardon ne tombe pour l'instant pas dans l'écueil et renouvelle même son style avec ce nouvel album.

Leçon de choses est beaucoup moins orageux que les précédents albums de l'auteur. Jusqu'à présent, les albums de Mardon étaient terriblement griffonnés, avec presque aucune case sans hachures. La multiplicité des traits générait une atmosphère lourde, psychologique et pesante. Ces hachures ont presque disparues sur Leçon de choses, qui se rapproche presque de la ligne claire. Les couleurs sont vives, gaies, mais l'album n'en est pas tendre pour autant. On sent une authenticité dans les anecdotes et histoires racontées, à tel point qu'on parierait, sans en avoir la certitude absolue, que Leçon de choses tire plus ou moins son essence de l'autobiographie. On sait Grégory Mardon originaire du Pas-de-calais. Il dresse d'ailleurs un beau portrait de la région minière dans Vague à l'âme. Il récidive ici. Leçon de choses est loin des clichés sur le Pas-de-Calais, restituant avec une très grande justesse les paysages et même une partie de l'histoire de la région (page 38, vraisemblablement la ville de Vimy).


Plus que jamais, Grégory Mardon est à saluer comme un auteur de très grande envergure. A quand la consécration ? A l'image d'un récent Riad Sattouf, Mardon mérite grandement d'être intégré comme l'une des nouvelles figures de la nouvelle vague franco-belge.