8.5/10Le Fils de l'Ogre

/ Critique - écrit par Maixent, le 26/01/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Le conte est bon (Fiche technique)

Grégory Mardon mélange les genres avec brio et nous pousse l'air de rien dans les retranchements de notre inconscient. Un très beau récit maîtrisé de bout en bout.

Avec Vagues à l’âme, Incognito ou Corps à corps, Grégory Mardon nous avait habitués à des récits intimistes de qualité, centrés sur le quotidien et empreints d’une réflexion juste sur les sentiments. Mais on reconnaît un bon auteur également au fait qu’il est capable de surprendre, de changer de complètement de style sans perdre son âme, ce que fait Grégory Mardon avec succès en proposant un conte moyenâgeux.

Bien loin de Johan et Pirlouit, Le Fils de l’Ogre est un conte sombre et mélancolique, un récit plus proche des grandes tragédies classiques que du conte formel. Il ne faut pas se fier au titre et s’attendre à voir débarquer Shrek et ses rejetons, ni même un véritable ogre occis dans un final épique par un chevalier sans peurs et sans reproches. L’ogre ici est plus une métaphore, et en être le fils spirituel revient à porter un fardeau pour le reste de ses jours.

Bourreau
Bourreau
Ainsi Benoît, âgé de treize ans, est fasciné par le bourreau du royaume dans lequel il vit avec sa mère. Cet homme, mis au ban de la société tout en étant adulé par une foule affamée de souffrances tant qu’elle ne les concerne pas directement, voit circuler sur lui les rumeurs les moins fondées, comme celle d’être un ogre. Décidé à en savoir plus, le jeune garçon profite de l’absence de l’ogre pour se rendre en sa demeure dans laquelle il dérobe un médaillon. Ce dernier, retrouvé dans les affaires de sa mère, condamne celle-ci à monter sur la place publique pour y être décapitée, ce qui pousse le jeune garçon à l’exil. Commence alors pour Benoît une vie d’errance faite de combats, de pillages et de meurtres qui ne réussissent en aucun cas à diminuer sa culpabilité et à repousser ses démons intérieurs.

Comme le dit lui-même l’auteur, il a choisi pour Le Fils de l’ogre une ligne plus Style tapisserie de Bayeux
Style tapisserie de Bayeux
illustratrice, inspirée à la fois de peintres comme Ucello pour les scènes de combats ou des dessins proches des illustrations de contes de notre enfance avec des illustrations pleine page et des enluminures typiques du Moyen-âge. Sans pour autant se départir de sa recherche de l’intime, il explore d’autres voies dans un récit plus violent, proche d’une iconographie vraiment recherchée. Et en effet, le lecteur ressent cet effort de l’auteur pour se démarquer de sa contemporanéité, sans pour autant que cela semble laborieux. La technique est ici mise en avant, dans le dessin, mais aussi dans le récit en trois parties, selon un plan formel entièrement maîtrisé par l’auteur. Il sait également très bien jouer des noirs et des contrastes afin de conférer à ses personnages une émotion palpable, voire inquiétante.

Seigneur en chasse
Seigneur en chasse
L’ensemble donne un ouvrage de qualité, légèrement décalé par rapport aux modes mais non dénué de modernité. Un ouvrage surprenant auquel on ne s’attend absolument pas, mais qui réveille à la fois une part d’enfance cachée, et les pulsions destructrices propres à l’inconscient. Sans pour autant que ce soit un récit psychanalytique, les errances tant intellectuelles que sur les champs de bataille du héros sont une sorte de quête de soi, de la recherche d’une identité difficile, voire impossible à découvrir.

L’auteur ne tombe pas dans le piège moraliste, et donne à voir le destin d’un jeune garçon vivant au moyen âge mais qui aurait pu tout aussi bien sortir de la banlieue parisienne si l’auteur ne s’était pas lassé de dessiner des immeubles. Un récit donc très moderne sur les choix que nous devons faire et qui nous influenceront ou nous hanteront toute notre vie.