C'est un oiseau...
Bande Dessinée / Critique - écrit par riffhifi, le 30/10/2010 (Tags : superman comics oiseau oiseaux seagle steve vie
Les élucubrations d'un scénariste de comics chargé d'écrire les aventures de Superman. Disséquant les raisons de sa haine pour le personnage, il rencontre l'incompréhension de son entourage... Un album original, qui pousse à la réflexion !
Il ne faut pas confondre Steven T. Seagle avec Steven Seagal ; le premier est un scénariste de comics, et le deuxième un chanteur de blues. Il ne faut pas non plus confondre le Superman de DC Comics avec l'Übermensch de Friedrich Nietzsche, ni la notoriété avec le succès commercial. Mais les rapprochements d'idées bouillonnent dans la tête du scénariste chargé de prendre en main les aventures du justicier volant le plus célèbre du monde : Steven, malgré une enfance passée à lire de "vrais" livres, a finalement choisi pour métier l'écriture de bandes dessinées ; mais le personnage de Superman est irrémédiablement associé dans sa tête à la mort de sa grand-mère, atteinte de la maladie de Huntington. Parviendra-t-il à surmonter son blocage, à se convaincre de l'intérêt que peut
présenter le super-héros boy scout pour le public ?...
L'exercice de la mise en abîme, souvent périlleux, mène généralement à l'un des deux résultats suivants : l'écueil du nombrilisme complaisant (je suis un artiste, voilà comment je crée, gnagna), ou la réussite du titillement de méninges (l'œuvre et la fiction se nourrissent l'une de l'autre, les déclinaisons de cette relation sont infinies). C'est un oiseau appartient heureusement à la seconde catégorie. Son sujet rappelle un peu celui du film de Spike Jonze Adaptation, dans lequel le scénariste Charlie Kaufman (joué par Nicolas Cage) était chargé de fournir un scénario qu'il se sentait incapable d'écrire. Plongeant au cœur du sujet, livrant ses propres névroses, angoisses et obsessions, il parvenait à la fois à traiter son sujet et à frôler l'autobiographie, tout en se cachant derrière une fumée de fiction fantaisiste (Kaufman s'inventait par exemple un frère jumeau pour les besoins de l'histoire). De la même manière, il est difficile ici de faire la part de la confession intime et de la licence artistique. Le Steven de l'intrigue n'est probablement pas exactement Steven T. Seagle (notez au passage que son nom se prononce comme "seagull", qui signifie mouette - c'est donc un oiseau), et les évènements qui touchent sa famille sont probablement exagérés ou même purement inventés. Ce qui n'enlève rien à la force et à la pertinence de l'album : à l'aide d'une introspection douloureuse, le protagoniste met en parallèle la misère humaine et l'invincibilité de Superman. Est-il possible de s'identifier à un bonhomme aussi parfait, aussi loin de nous ? L'auteur se creuse alors la tête pour comprendre ce qu'il peut avoir de rassurant,
de fédérateur... Il laisse ses pensées vagabonder sur ses collègues du Daily Planet : la comptable, l'employé des poubelles que personne ne regarde... Le super-héros n'est-il qu'un fantasme, un exutoire, un être de puissance que l'on aimerait être pour écraser les tracas du quotidien à l'aide d'un simple coup de poing ? La réflexion ne s'arrête pas en si bon chemin, et navigue allègrement d'une piste à l'autre, entre deux tranches de quotidien où le scénariste subit les supplications de gens qui veulent « être dans un épisode de Superman », autrement dit rejoindre ce monde rassurant et mythique.
Au dessin, Teddy Kristiansen est chargé de donner corps aux divagations mentales de l'écrivain. Déjà à l'œuvre sur Sandman, Kristiansen ne recule pas devant l'expérimental : adoptant successivement une vingtaine de techniques graphiques différentes, il parvient à conserver à l'ensemble une cohérence visuelle étonnante, sans jamais céder à la tentation de larges splash-pages super-héroïques. Le tout est intimiste, peu coloré, assez épuré. L'approche est originale, intelligente, parfois émouvante, et constitue une très bonne digression sur l'approche d'un personnage inépuisable. Superman, qui fait déjà l'objet d'études universitaires poussées, n'est pas prêt de disparaître du paysage...