8.5/10Curiosity shop : une autre guerre

/ Critique - écrit par athanagor, le 22/05/2011
Notre verdict : 8.5/10 - Madrid lock (Fiche technique)

Tags : curiosity shop old tome angleterre royaume london

Dans une Espagne à la veille de la première guerre mondiale, une toute jeune fille enquête sur la mort de son père, dans une première aventure riche et passionnante.

Nous plaçant dans le sillage de cette jeune fille énergique, qui fuit sa Barcelone natale pour découvrir, à Madrid, la vérité sur la mort de son père, Montse Martin et Teresa Rovero parviennent à créer un délicieux mélange. D’une part, il y a des effluves d’Oliver Twist (le personnage central est d’ailleurs fan de Dickens), transposé dans un Madrid d’avant première guerre, qui se révèle tout aussi mystérieux et romanesque que Paris ou Londres. Dans cette large capitale où alternent les ruelles sombres aux échoppes crasseuses et les grands parcs des beaux quartiers où dormir à la belle étoile, Maxima, jeune orpheline émancipée, vit une aventure que l’on suit avec envie. Et
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comme de juste, sa liberté ne va pas sans quelques risques, notamment considérant la voyoucratie locale, d’autant plus dangereuse qu’elle se rapproche des hautes couches de la société.

Dans un autre registre, il y a la saveur particulière des chasses aux trésors et des passages secrets, comme on les trouve parfois (mais toujours bien après lui) dans les aventures d’Arsène Lupin. L’œuvre tourne autour de la quête d’une machine inventée par le père de Maxima, capable de décoder un langage hermétique et séculaire. L’histoire se dote ainsi d’un artefact mystérieux, à la valeur symbolique, et qui ne se peut trouver qu’à la faveur de complexes énigmes à résoudre. Au centre de l’intrigue, cet objet est d’autant mieux trouvé qu’il permet la jonction entre deux périodes de l’Histoire, sur laquelle la narration va pouvoir asseoir sa crédibilité et préparer ses prochains épisodes.

Extrêmement rafraîchissante malgré le contexte de l’ère industrielle, cette BD invente un style envoûtant, cerclé de volutes Art Nouveau, dans une capitale espagnole dont l’évocation, à elle-seule, assure une bonne partie de la qualité de l’ouvrage.
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On avait déjà pu apprécier le trait de Montse Martin dans Talisman, mais il faut reconnaître qu’ici, dans la représentation d’un Madrid du début du 20e siècle, le talent de la dessinatrice espagnole s’exprime à plein. L’immersion est aussi assurée par une exploitation incroyablement dense des 56 pages de l’ouvrage, interdisant toutes les ellipses qui, d’habitudes, passent sous silence des éléments essentiels. Dans cette narration fleuve, il y aura néanmoins un réel risque de perdre ses repères. L’histoire traite, bien sûr, de la course entre Maxima et ce qui semble être une bonne partie de la ville de Madrid pour retrouver la machine, mais elle s’ouvre aussi sur d’autres aspects. L’essor d’une stratégie industrielle nationale en vue de la guerre que la situation dans les Balkans rend inévitable, et l’exposition de la communauté intellectuelle juive madrilène sont des éléments supplémentaires, certes très bien intégrés dans l’histoire, mais qui demande au lecteur de forcer un peu sa digestion. Pourtant, malgré la complexité et la foison des évènements, on suit avec plaisir tout ce qui se joue, car jamais rien n’est fait en dehors de l’histoire, comme placé-là pour un tome prochain.

Sur un ouvrage aussi dense, il ne sera pas étonnant de vouloir faire une pause et de le poser à côté du lit. Mais c’est avec avidité qu’on en reprendra la lecture, après une trop longue nuit à recharger ses batteries, et c’est sûrement avec la même avidité qu’on enclenchera la lecture d’un très espéré tome 2.