8.5/10Chimère(s) 1887 - tome 2 - Dentelles écarlates

/ Critique - écrit par Maixent, le 21/12/2012
Notre verdict : 8.5/10 - Paris fripouilles (Fiche technique)

Ce second album des aventures de Chimère est dans la continuité directe du premier opus. A la manière des Lanfeust dont l’histoire est découpée en autant de chapitres que d’albums, il n’y a pas de rupture nette et on reprend ici exactement où nous nous étions arrêtés, soit la fuite d’Elise et la révolte de Chimère, brûlant son journal intime dans un acte de rébellion face à la maquerelle.

On avait perçu dans le premier album la pulsion dramatique du récit et le
Pause bucolique
deuxième opus confirme bien que Chimère est bien plus proche de Causette que de la Dame aux Camélias. Elise est donc rattrapée et ramenée de force au bordel où elle subit un avortement violent qui ne lui coûte pas la vie mais le peu d’espoir qui lui restait, tandis que Chimère est punie de son insolence de la manière la plus humiliante qui soit. Parallèlement aux drames intimes ou politiques qui se déroulent dans l’établissement, d’autres personnages entrent en scène, Vincent, jeune galeriste défenseur des impressionnistes et l’actrice star du moment (soit une quinzaine d’années avant le temps de la narration), Olympe. D’autres s’invitent également pour un temps tel Maupassant qui vient pour se divertir le temps d’un caméo.

On conserve la même qualité graphique avec ces couleurs chaudes et un soin tout particulier aux détails, que ce soit concernant le mobilier, les
Avant la loi Veil
décors ou les apparats de tous les personnages. On perçoit le véritable travail de recherche de l’équipe qui a su se servir d’une documentation précieuse afin de mieux s’approprier une époque révolue. Tous ces éléments réunis permettent une cohérence qui se confirme dans le second album. Ainsi, malgré une petite faiblesse du trait sur les plans larges qui sont traités comme des esquisses, l’ensemble attire l’œil et nous entraine dans cette ambiance de luxe poisseux en un instant.

L’histoire quant à elle est de plus en plus prenante. Les malheurs de Chimère dérivent sur des problématiques plus poussées même si elle reste le centre des événements et le soin tout particulier apporté à la psychologie de chaque personnage, même les moins importants, permet de s’immiscer d’autant plus en avant dans ce monde. Sans effet de style et sans avoir recours au fantastique, on se trouve transposé dans un autre univers,
Chimère au quotidien
étrangement familier mais très lointain. Comme s’il s’agissait d’un univers parallèle fantasmé plus qu’un temps ancien. On ressent le malaise de ces filles, la précarité de leur existence, la peur croissante de la déchéance et surtout l’atmosphère fantasmée de ces bordels d’époque, source érotique par excellence comme en témoigne le foisonnement de séries et de livres sur le sujet.

Scénaristiquement d’ailleurs, l’influence de la série télé (ou du feuilleton journalistique à la mode au dix-neuvième siècle pour rester dans le ton) n’est pas loin. De nouveaux personnages apparaissent, on prend le temps de les découvrir, de les apprécier, sans savoir quelle sera l’implication leur par la suite. En parallèle, l’histoire principale prend de l’ampleur, avec un rythme maîtrisé, des accélérations soudaines, des moments d’accalmie, et bien sûr un climax en fin d’album qui laisse le lecteur dans un suspense insoutenable et le poussant à réserver dès lors le prochain tome.

Ouvrage de sang et de foutre caché sous une épaisse couche de crinoline froufroutante, Chimère(s) fait mouche pour la deuxième fois dans la plus pure tradition du feuilleton. A gager que la suite sera du même acabit, toute aussi prenante et réussie.