Carmen Cru
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 03/07/2011 (Tags : carmen lelong tome fluide jean glacial vieille
Les quatre premiers tomes de Carmen Cru réunis dans la collection Série Or. La vieille peau la plus sympathique de la bande dessinée. Une réussite de l'humour noir.
Il y a quelques années paraissait le tome 8 de Carmen Cru qui clôturait ses aventures. On a maintenant la chance de retrouver notre héroïne des temps anciens dans une intégrale dont on présentera ici la première partie, soit les quatre premiers albums publiés par Fluide Glacial il y a de ça déjà quelques années.
Car si Carmen Cru est sans âge, ce n’est pas vraiment un compliment. Issue tout
Carmen Cru face à la Modernitédroit du fin fond du XIXe rural pour se retrouver dans un environnement urbain qui la dépasse, Carmen est restée bloquée dans son temps et ressemble plus à une caricature de Daumier qu’à une gravure de mode, couplée avec la Cousine Bette dont la description par Balzac était : « ses sourcils épais réunis par un bouquet, sa face longue et simiesque laissent deviner derrière la paysanne des Vosges un caractère de sauvage ». On est donc bien loin du personnage sympathique de bande dessinée avec gros nez, formes rebondies et sourire jovial. D’où une forme d’humour beaucoup plus subtil, un humour noir presque charbonneux, qui convoque ce que l’humanité a de plus sale pour l’exagérer et atteindre le comique.
On trouve déjà dans ces premiers opus les personnages récurrents qui gravitent autour de la vieille tels des mouches du coche, toujours empressés pour filer un coup de main alors qu’on ne leur a rien demandé. Ces fainéants, alcooliques et
En route pour de nouvelles aventures autres qui se contentent d’être tout simplement, mais osent respirer le même air que la vieille contribuent grandement au succès de Carmen Cru, mettant d’autant plus en valeur son caractère irascible. Apparaissent donc déjà le curé qui jure comme un charretier à chaque phrase et s’écoute beaucoup parler, Raoul, le voisin alcoolique dont la femme est toujours aux toilettes et qui passe son temps à descendre le vélo de Carmen au fond de la cour quand il n’a pas une bouteille à la main, le duc Rodrigue de saint Genou, noble déchu et accro au jeu qui aménage à peine, le chat errant, aussi teigneux et sac à puce que la vieille et bien d’autres encore qui représentent à eux tous la lie de l’humanité façon Mystères de Paris.
Le tout est servi par un dessin poussiéreux, parsemé de petites touches noires comme si tous habitaient près d’une usine à charbon qui déverserait son surplus directement dans la rue. Ce côté chiffonnier est d’autant plus renforcé par les hardes qui servent de vêtements aux personnages, des
Carmen Cru pyromanecouches et des couches de fringues crasseuses qui transforment les corps en tas rabougris. Des corps comme perclus de rhumatisme, noueux et attaqués par le temps.
Lelong a le talent de créer des histoires dans lesquelles il ne se passe pas grand chose, (une vieille qui part faire ses courses sur son vélo avec à la main une cagette, ce n’est pas ce qu’il y a de plus palpitant) et d’en faire des aventures bavardes et décalées que l’on relit toujours avec un plaisir renouvelé. Le personnage de Carmen Cru y est pour beaucoup, vieille peau magnifique qui n’hésite pas à mettre le feu aux meubles qui encombrent sa cour ou à donner du vin chaud aux enfants pour avoir la paix.
Un dessin adéquat, des dialogues travaillés et ancrés dans le réel, une narration parfaite sachant utiliser les silences, ces albums ont tout pour plaire même si Carmen Cru demeure l’archétype de la voisine que l’on ne veut surtout pas avoir, increvable et incapable de sourire, pouvant rendre fou une assemblée de colocataires.