Litteul Kévin - L'intégrale

/ Critique - écrit par Maixent, le 25/01/2023

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Kévin et les autres

Enfin une intégrale Litteul Kévin. Un pavé colossal de près de 350 pages pour la famille la plus rock de la bande dessinée. Il y a plus de 30 ans, on découvrait Sophie, Chacal (dit aussi Gérard, mais pas trop fort au risque de se prendre un bourre-pif dans la tronche) et leur fils Kévin dans les pages du magazine Fluide Glacial. Pour comprendre cette famille de motards qui ont su rester de grands enfants tout en offrant une éducation riche et fun à leur fils, on doit obligatoirement passer par l’auteur qui, à n’en point douter à mis beaucoup de lui-même dans ses albums pour ne pas dire toute son âme.


Un air de famille

 

Coyote (dit aussi Philippe Escafre mais peu l’ont appelé un jour ainsi) vit le jour à Rodez en 1962 mais il passera une bonne partie de sa vie à Toulouse où on pouvait souvent le croiser attablé à une table en terrasse dans le quartier de la Daurade, reconnaissable de loin à son look de biker qu’il avait érigé en art de vivre. Car avant d’être un dessinateur de talent, Coyote était un motard, plus du genre Coluche que Sons of Anarchy. Un motard au grand cœur, de ceux qui transforment leur Harley en traîneau de Noël. Une passion de toujours qui le poussera à publier ses planches d’abord dans des magazines de moto. On découvrira ainsi Mammouth et Piston qui feront d’ailleurs partie du « Coyoteverse », Chacal et Mammouth s’envoyant régulièrement des pintes ensemble dans un bon esprit de camaraderie alcoolisée. Et parce que c’est bon le « TantPis ». Revenons à Coyote qui sera vraiment connu du grand public grâce à Litteul Kévin et ses sept albums (si on ne compte pas les versions couleur et les hors-série). Un travail sur le long terme qui ne l’empêchera pas de lancer une autre série avec Nini Bombardier, Les voisins du 109 sur le principe de la pastille TV, Nos chers voisins. Une œuvre prolifique et bien lancée interrompue brutalement par sa mort en 2015.
Le Club des Lions

 

Kévin c’est avant tout le propre fils de Coyote, né en 1987, ajoutant une touche d’autant plus personnelle dans ses albums. Mais à l’instar des albums d’Asterix où les héros sont entourés d’une pléthore de personnages truculents qui font le sel des albums et ont durablement marqué les esprits, Kévin n’est pas seul. Autour de ce garçonnet de dix ans conduisant sa propre mini-Harley, gravite d’abord un cercle familial réduit. D’un côté la mère, Sophie, pin-up au physique impossible qui agit en véritable chef de famille doué de raison (souvent, mais pas toujours), sa plastique ne la reléguant pas au stade de potiche, bien contraire. De l’autre, Chacal, grand dur au cœur tendre et parfois un peu simplet à l’instar d’Obélix, tenant avec son ami Hulk un club de motards qui sert également d’agence de sécurité pour les concerts (même ceux de Dorothée mais avec beaucoup d’abnégation). Cette famille nucléaire se retrouve agrandie par tous les membres du club qui sont plus que des amis et forment une véritable communauté.Nous allons donc croiser Hulk, meilleur ami de Chacal depuis la DDASS, mais aussi sa compagne Agnès (sœur de Mammouth évoqué plus haut), la délicieuse Frida, sœur de Hulk étudiante en médecine et nounou de Kévin qui alimente également ses fantasmes ou encore Nounours, qui lui, alimente les autres de manière plus pragmatique. Sans oublier bien sûr les membres du Club de Lions, réplique de celui des adultes qui a son siège dans une cabane au fond d’un terrain vague et qui compte bien sûr Kévin en tant que président mais aussi Charly son meilleur ami, le très perturbé voire psychotique Cacahuète, Charlotte (qui a fait ses preuves) et plus tard Vanessa, l’amoureuse qui ressemble à une version miniature de Frida. On pourrait aussi citer Kiki la prof de cul euh… de sciences nat’, Mademoiselle Fifi qui fait à peu près la même chose mais version travaux pratiques sur le trottoir, la mère de Sophie, aussi chiante que sa fille est belle, etc. Une vaste galerie de personnages que l’on retrouvera dans leur quotidien entre le club, la maison et l’école ; mais aussi les vacances à la neige ou chez les naturistes où, comme chacun sait, il vaut mieux être « imbibé » plutôt qu’« inhibé ».


Les motards bronzés

 

 Outre le fait d’avoir réussi à réunir autant de beaux personnages, Coyote a aussi l’art de manier les mots. De même que dans les albums d’Astérix où jeux de mots et mots d’esprits abondent tant dans les noms de personnages que dans des formules qui sont maintenant devenues des classiques, Litteul Kévin est truffé de blagues. A la différence près que nous ne nous trouvons pas en 50 avant Jésus Christ et que le langage a beaucoup évolué depuis. On se situe entre un argot à la Renaud, des aphorismes à la Audiard et le langage de tous les jours, le tout mixé entre les générations avec des références culturelles propre à chacun comme le rap et le verlan pour Kévin. En témoigne la rencontre avec Nénesse dont le score final est « un partout balle au centre », un échange verbal placé sous le signe de l’incompréhension où le discours imagé (et ici illustré) de Nénesse se heurte à la jactance tout en poésie de Kévin.
The baby sitter

 

A ce phrasé délectable à chaque instant s’ajoute un trait virtuose. Il existe des versions colorisées qui ne font pas partie de cette intégrale et c’est sans doute tant mieux. Coyote n’est jamais aussi bon qu’avec seulement de l’encre noire dont il maîtrise parfaitement la profondeur et l’épaisseur, conférant à son dessin une authenticité et une qualité rare. On l’a souvent rapproché de Gotlib d’ailleurs dans le trait et cela est particulièrement vrai dans l’amplitude donné aux mouvements, à la limite du gaguesque façon Tex Avery. Et même si rien n’est crédible, des roues de moto ovales aux seins de Sophie défiant les lois de l’attraction, le mouvement est tel que l’on est embarqué dans l’action et qu’on ne peut qu’applaudir ces qualités graphiques indéniables.

Les plus de 300 pages de cette intégrale sont une avalanche de gags tant visuels que narratifs où l’on se délecte à chaque instant, marquant pour toujours l’histoire de la bande dessinée. Plus fin que Mammouth & Piston, tout en conservant un côté cul et potache, plus riche que Les Voisins du 109. Coyote a mis tout son âme dans ses personnages. Et aucun doute il avait l’une des plus belle âme possible.
En famille