8.5/10Les Nouveaux Pieds Nickelés

/ Critique - écrit par riffhifi, le 24/05/2010
Notre verdict : 8.5/10 - Nickel. Le pied. (Fiche technique)

42 auteurs, à la notoriété et aux styles très différents, se réunissent sous la bannière de l'éditeur indépendant Onapratut pour rendre hommage aux Pieds Nickelés. Loin de l'effort contrit que représente généralement ce type d'exercice, l'album est une revigorante bouffée d'air et un concentré de talent.

Plus de 100 ans après leur création, plus de 70 ans après la mort de leur papa Louis Forton, les Pieds Nickelés sont tombés dans le domaine public. Du coup, Croquignol, Filochard et Ribouldingue ont apparemment décidé de revenir en force au bout d'une vingtaine d'années d'absence... Trap et Oiry, premiers à s'engouffrer dans la brèche, ont sorti l'an dernier chez Delcourt un premier tome d'une série titrée La nouvelle bande des Pieds Nickelés ; sympathique mais un peu timoré, l'album offrait 30 pages pour 10 euros, sur un mode minimaliste vieillot émaillé de péripéties sans âge. Ce mois-ci, c'est le petit éditeur indépendant Onapratut qui s'y colle, avec un album collectif de 280 pages (pour 25 euros, faites le calcul par rapport au titre cité plus haut). Les albums hommages sont souvent des catalogues de noms célèbres obligés de pondre quelques pages à leur corps défendant ; à l'inverse, le travail d'une association, spécialisée précédemment dans le fanzinat, pouvait laisser craindre un collage mal foutu d'amateurs enthousiastes mais brouillons... Heureusement, les deux hypothèses s'avèrent fausses : Les nouveaux Pieds Nickelés, point de rencontre entre différentes générations et de multiples styles graphiques, est à la fois un revival inspiré des aventures du trio et une lecture aussi emballante que rigolote.

Pour mettre les choses au clair, les auteurs "reconnus" sont à chercher dans les 16 dernières pages, qui présentent une galerie (en couleurs, par opposition au reste du volume présenté en noir et blanc) de couvertures fictives des Pieds Nickelés : Les Pieds Nickelés contre le capital, Les Pieds Nickelés se décrassent la couenne... On y retrouve entre autres les signatures de Marc Hardy (Pierre Tombal), Wasterlain (Docteur Poche), Carali (patron du magazine Psikopat), Olivier Schwartz (dessinateur du Spirou scénarisé par Yann l'an dernier) ou encore Hugot et Lamorthe (piliers de Fluide Glacial). Les quinze histoires complètes sont dues à une vingtaine de jeunes auteurs (tous nés entre 1972 et 1984, à l'exception de l'ancêtre Olivier Ka, né en 1967), recrutés chez les petits éditeurs que sont Carabas, Foolstrip, La boîte à Bulles ou Le moule-à-gaufres (sans compter l'équipe maison d'Onapratut).

En abordant une bande dessinée aussi ancienne que les Pieds Nickelés, qui a connu deux longues périodes de gloire très différentes (1908-1934 chez Forton et 1948-1981 sous le crayon de Pellos), de nombreuses questions se posent : par exemple, Filochard doit-il garder son apparence d'origine, alors que personne aujourd'hui ne porterait un bandeau sur l'œil (à part Nick Fury, mais personne n'y croit) et une moustache que l'on associe désormais à Hitler ? Plus important, faut-il ancrer les personnages dans le passé qui les a vu s'épanouir (option Blake et Mortimer, coincés pour l'éternité dans les années 50), leur inventer un environnement sans âge, ou les adapter à l'ère moderne ? Les auteurs de cet album ont fait leur choix : les trois loustics vivent de nos jours, et leurs coups fumeux sont imbibés de l'air du temps : arnaque au légume bio, trading en
compagnie de Jérôme Kerviel, journalisme de poubelle aux dépends de Sarkozy... on les voit même défendre les sans-papiers et se lancer dans l'art contemporain. Un tel défilé de thèmes potentiellement "tarte à la crème" peut, là encore, laisser craindre la facilité, le discours de comptoir et la démagogie. Mais tout est traité avec une telle bonne humeur, mélange d'irrévérence et de saine autodérision, qu'on rit de bon cœur aux tribulations des anti-héros, souvent confrontés à plus malin qu'eux (un thème curieusement récurrent ici). Quant au dessin, il offre un échantillonnage quasiment exhaustif de ce que le neuvième art peut avoir à offrir : réalisme (Aurélien Bédéneau), minimalisme (Clotka), ligne claire libre (elric) ou stricte, façon Simpson (Wouzit), inspiration manga teintée de ligne claire ‘Journal de Mickey' (Waltch)... Chaque histoire offre une vision des Pieds Nickelés radicalement différente des autres, et aucune ne cherche à émuler servilement les pages de Forton ou de Pellos (ce que les successeurs des années 80 avaient plus ou moins fait) ; de même, la teneur des gags s'avère nettement plus adulte que celle des albums de "la Jeunesse Joyeuse", opérant ainsi un retour salutaire à l'esprit anar des origines. On en reprendrait volontiers une louche, mais on se contentera d'attendre les albums individuels signés par les artistes prometteurs en charge de ce bel hommage.


Les Pieds Nickelés goûtent au bio
(Unter)
Les Pieds Nickelés artistes contemporains (elric & Clotka)
Les Pieds Nickelés paparazzi (Baril, Radi & Thibault Soulcié)
Le procès des Pieds Nickelés (ced & Lommsek)
Hors-jeu pour les Pieds Nickelés (Radi & elric)
Le cauchemar des Pieds Nickelés (Olivier Ka & Alejandro Milà)
Les Pieds Nickelés ne manquent pas d'idées (Filak & Paul Burckel)
Les Pieds Nickelés font des petits miquets (Radi & Stéphane Girod)
Poker Blues (Loïc Senan)
Les Pieds Nickelés déclenchent un conflit social (Dib & Waltch)
Les Pieds Nickelés sans-papiers (Fred Duprat & Aurélien Bédéneau)
Les Pieds Nickelés pris dans la toile (Wayne & Wouzit)
Union Jackpot (Loco & Radi)
Les Pieds Nickelés, crème de beauté (Fabien Bertrand & Pasto)
Les Pieds Nickelés se rencontrent (Fred Duprat & François Duprat)

16 couvertures fictives : Nancy Peña, Carali, Hugot, Lamorthe, Marc Hardy, Olivier Schwartz, Al Séverin, O.Groj, Wasterlain, Walthéry, Lécroart, Caza, Thierry Martin, Jeff Pourquié, Obion et Laurel