6.5/10Mano en mano

/ Critique - écrit par riffhifi, le 06/07/2008
Notre verdict : 6.5/10 - Quand le vingt est tiré, il faut le dépenser (Fiche technique)

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Entre chronique sociale et galerie de sketches, cet album espagnol bien maîtrisé force la sympathie. Néanmoins, on peine un peu à en voir la finalité.

Ces derniers temps, Dargaud se plaît à faire découvrir aux lecteurs quelques auteurs espagnols. L'excellent Jazz Maynard dont le troisième tome est férocement attendu, le plus anecdotique Je t'ai aimé comme on aime les cons... Mano en mano, pourtant, ne s'inscrit pas dans cette lignée de découvertes : malgré son couple d'auteurs hispaniques, il ne s'agit pas d'une traduction mais d'un album réalisé directement pour Dargaud. Ana Mirallès et Emilio Ruiz sont d'ailleurs loin d'être des inconnus pour le bédéphile français : d'une part ils ont signé ensemble plusieurs albums, dont l'adaptation en trois tomes du roman de Juan Eslava Galan A la recherche de la licorne qui ressort ce mois-ci en édition intégrale, d'autre part Mirallès est la dessinatrice de la série à succès Djinn, ce que ne manque pas de
rappeler le sticker qui orne la bande dessinée. Mano en mano est une initiative plutôt séduisante du couple : explorer une galerie de personnages et la vie d'une ville à travers le voyage d'un billet de vingt euros...

Du miséreux au taulier de bistrot, de la pute au sacristain, le billet de banque passe entre toutes les mains. Il monte et descend l'échelle sociale avec une rapidité fulgurante, navigue tortueusement dans les rues d'une ville espagnole dont on ne nous donne pas l'identité, et tourne plus ou moins en rond au bout d'un moment. Ce n'est pas le cas de l'album, auquel on pourrait pourtant être tenté de reprocher sa démarche un peu casanière (l'euro étant une monnaie inter-étatique, on pouvait s'imaginer voyager d'un pays d'Europe à l'autre). Une histoire en appelle une autre, la suivante chasse les deux précédentes : Ruiz évite la répétition et la systématisation, il alterne habilement différents types d'histoire (un peu d'humour, un peu de drame, un peu d'action, un peu de réflexion) et Mirallès parvient à rendre les personnages sympathiques ou antipathiques malgré la fugacité de leurs apparitions. Agréable à regarder et à lire, Mano en mano se sort plutôt bien de son postulat de départ. Celui-ci reste néanmoins un prétexte bien ténu entre les saynètes, et il n'est pas interdit de se demander en refermant l'album de quoi il y
était vraiment question. Comédie, chronique sociale ? Inventaire des individus peuplant une grande ville européenne ? Discours sur la volatilité de l'argent, son impact relatif sur la vie des gens ? Un peu de tout ça peut-être, bien que les sujets soient survolés, effleurés, chatouillés. Curieusement, ce n'est pas dans cet album mais dans le Batman & Dracula édité ce mois-ci par Panini que l'on trouve la phrase suivante : « Certains vénèrent l'argent, mais ça n'améliore pas leur vie... et l'argent s'en fiche. »

Dommage, on aurait apprécié une petite réflexion sur la valeur de l'argent, plutôt qu'une simple observation de sa dégradation physique, et son utilisation comme fil rouge d'une suite d'historiettes bien réalisées mais finalement assez anodines. Mais peut-être les auteurs se décideront-ils à lui donner une suite intitulée Mano en mano 2 : dinero del diablo, où l'on suivra les tribulations d'un billet de 40 euros. Je sais, ça n'existe pas, mais c'est ça qui serait cool.