9/10Junk - Tome 1 - Come back

/ Critique - écrit par riffhifi, le 02/07/2008
Notre verdict : 9/10 - Rio Brüno (Fiche technique)

Tags : tome junk bruno eur come back livre

Le western est, contre toute attente, un genre qui semble inspirer les auteurs de bande dessinée francophones ces dernières années. Après le romantico-surréaliste Gus de Blain, voici une approche plus traditionnelle dans le récit, portée par le dessin ultra-stylisé de Brüno. Déjà un classique.

Le style unique du dessinateur Brüno, on a pu l'apprécier récemment chez Dargaud, avec les deux tomes de Biotope réalisés en compagnie du scénariste Appollo ; le duo récidivera cet été avec Commando Colonial. Mais avant de fricoter avec le gros éditeur, Brüno sévissait déjà chez La chose et surtout chez Treize étrange (éditions Milan). Il leur reste fidèle, et sort cette année une excellente bd western en deux parties sur un scénario de Nicolas Pothier, qu'on peut difficilement déconseiller aux amateurs du genre, et encore moins aux admirateurs du dessinateur. Seul le premier tome est actuellement disponible : il ne reste qu'à manger son chapeau en attendant le deuxième, qui promet d'être encore meilleur.

La couverture de chacun des deux tomes est un hommage direct à l'une des deux affiches les plus célèbres de Rio Bravo. Pourtant, l'intrigue n'a rien à voir avec celle
du chef d'œuvre de Howard Hawks, mais ce clin d'œil participe de la galerie de références insérées de façon plus ou moins évidente dans l'album ; qu'il s'agisse des retrouvailles forcées d'anciens compagnons de route, façon Les 7 mercenaires, ou des patronymes familiers comme Ford, Wayne ou encore Woody Strode, de nombreux éléments étayent la thèse selon laquelle Pothier et Brüno mangeaient autant de westerns que de céréales quand ils étaient petits. Ce qu'ils en ont retenu, ce n'est pas tant l'odeur de la poudre ni celle de la bière des saloons, encore moins les attaques d'indiens ni les dépouillages de diligence. Ce serait plutôt le goût de liberté et d'individualisme des bandits de grand chemin, le sens de l'aventure d'un Jesse James ou d'un Billy the Kid. Ici, les héros n'ont pas eu le destin tragique de leurs pairs, et ont décidé de dissoudre leur gang pendant qu'ils étaient encore en vie. Mais le passé les rattrape, sous la forme de leur ancien compagnon Hank Williams, qui les convainc de partir à la chasse au trésor en souvenir du bon vieux temps. C'est ainsi que Woody Strode, Ford, Wang, Jill McBain (le nom du personnage de Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l'Ouest) et Moosbrugger se retrouvent réunis, ignorant qu'un traître se cache parmi eux, et que Hank compte bien le démasquer...

Le plus grand mérite de Brüno est de parvenir, à travers un dessin qui tient autant de la ligne claire que du style naïf, à rendre réellement expressifs et attachants des personnages qui ne sont pourtant composés que de quelques traits, et d'un regard souvent réduit à un plissement d'yeux. A ce titre, le personnage de Ford rappelle sans équivoque le Toussaint de Biotope, dont il est probablement l'ancêtre : le petit Les junkies du far-west, c'étaient pas des rigolos
Les junkies du far-west n'étaient pas des rigolos
gros à la moustache rude et au flegme inébranlable cache en lui une humanité qui ne transparaît que par bribes ; l'archétype du cow-boy viril tel que le cinéma a su le populariser, en somme. Question tempérament, ses compagnons ne sont pas en reste : qu'il s'agisse du Chinois devenu marchand de jouets, du Noir devenu clochard, de la pétroleuse reconvertie dans les explosifs ou du tireur d'élite grassouillet à la toque de Davy Crockett, tous ont une personnalité à défendre. La question de l'identité du traître n'en est que plus excitante, et se double d'un suspense constant lié à l'aventure que constitue la chasse au dahu des personnages : est-il bien raisonnable de la part de Hank d'entraîner cinq anciens comparses en pleine neige pour le simple plaisir de régler des comptes vieux de 10 ans ? On suppose que l'affaire cache autre chose...

Un bijou de maîtrise visuelle, véritable cadeau aux fans de western qui reste accessible sans problème aux néophytes, Junk est assurément un des incontournables de cette année. Inutile de dire qu'on attend beaucoup du deuxième tome, annoncé sous le titre de Pay back...