Le Feul - Tome 1 - Valnes
Bande Dessinée / Critique - écrit par iscarioth, le 25/07/2005 (Superbement dessiné, finement scénarisé, le Feul est sans conteste l'une des grandes révélations de cette année 2005.
Les auteurs
Jean-Charles Gaudin est connu pour avoir scénarisé la série Marlysa. Le scénariste est une pointure de chez Soleil. Parmi ses séries à succès, on retrouve aussi Les Arcanes du Midi-Minuit et Garous. Frédéric Peynet, plus jeune et moins connu, s'est révélé début des années deux mille en dessinant Toran, une série scénarisée par Isabelle Plongeon et éditée par Nucléa.
L'histoire
Le Feul est une maladie mystérieuse qui tue sans distinction hommes, femmes et enfants de tout peuple. Les malheurs engendrés par ce mal vont amener deux peuplades qui s'évitaient jusqu'alors, les Oldis et les Bourouwns, à collaborer.
Un scénario finement mené et novateur
Plusieurs peuples différents et étrangers se mêlant pour une quête, cela ressemble au Seigneur des Anneaux et à bien d'autres productions HF. Mais ici, pas de magie, pas de grand élu, pas de mal personnifié... Le Feul appartient à ce genre déjà puissamment investi par Rosinski et Van Hamme avec Thorgal ; l'héroïc fantasy réaliste. Beaucoup de lecteurs commencent à se lasser de Soleil et de ses publications. La maison d'édition, qui mise beaucoup sur la veine héroïc fantasy, ne connaît pas la pluralité. L'immense majorité des premiers tomes qu'elle propose amorcent des histoires à la Lanfeust de Troy. Toujours la même recette, appliquée sans presque jamais de variante. Le Feul fait partie des ovnis. On se demande comment un album de cette qualité a pu se tailler une place dans le catalogue de Soleil, habituellement bardé de nouveautés qui n'obtiendront suite que s'ils rapportent une bonne somme d'argent à la maison d'édition. L'album propose une héroïc fantasy que l'on prend au sérieux, qui évite les chemins fatigués mais si souvent parcourus de la caricature. On nous présente un univers complet et cohérent, avec des peuplades et des moeurs inconnues, à découvrir. Mais les auteurs ne font pas d'esbroufe : pas d'étalage, pas de lourdes scènes explicatives ou d'exposition. Le monde parcouru ne nous est pas expliqué franchement, on le devine au détour d'une discussion. D'où une importante et réconfortante sensation de crédibilité, si rare en héroïc fantasy de nos jours. De plus, le fond de ce premier album est réellement important. Le monde créé par les auteurs ne manque pas de consistance : mode de vie, mentalités, pratiques et aspects physiques des peuples peuvent être observés. Les Oldis sont un peuple polygame composé de beaucoup de femmes, qui ne sont pas seulement des instruments de maternité mais aussi des centres décisionnels importants. De nouvelles amazones qui nous éloignent du cliché très énervant des bimbos en armures décolletées et des guerrières fantasmagoriques à la peau huilée. Par le biais d'une quête contre un ennemi sans visage, l'histoire qui nous est contée dans le Feul se veut fraternelle. Dans la logique du road movie (des personnages partageant un voyage qui se découvre humainement en chemin), Oldis et Bourouwns apprennent à se connaître et à se respecter. A la source de la haine se trouve l'ignorance. Le message de ce premier tome est certainement celui de la découverte et de l'amitié entre les peuples.
Un parcours graphique sans faute
Voici un dessinateur qui mérite d'être connu et reconnu. Le dessin de Peynet pour ce premier tome du Feul est d'une grande puissance graphique. On pense à Léo pour l'impact visuel des regards et à Gibrat pour le ton magistral des couleurs. Le dessin de Peynet est presque irréprochable. Le dessinateur maîtrise ses paysages, restitue parfaitement l'anatomie humaine, confère à ses personnages mouvement et force expressive. Les clair-obscurs qui illuminent les gros plans lors de scènes nocturnes et la technique de la couleur sur bleu utilisée en remplacement de la couleur directe donnent beaucoup de force expressive à l'album. Le monde créé est aussi visuellement très mystérieux, mêlant des paysages très familiers et réalistes à un bestiaire fantastique. La mise en cadre, elle, est plutôt traditionnelle et constante, ce qui temporise le récit par une certaine régularité narrative.
Superbement dessiné, finement scénarisé, le Feul est sans conteste l'une des grandes révélations de cette année 2005. Le Feul doit devenir un triptyque. Reste à savoir si la série ne sera pas à rajouter sur la liste des nombreuses oeuvres avortées par la maison Soleil.