8.5/10Chimère(s) 1887 - tome 1 - La Perle Pourpre

/ Critique - écrit par Maixent, le 13/09/2011
Notre verdict : 8.5/10 - Chimère entre l'onirique et le cauchemar (Fiche technique)

Un véritable travail de recherche et une réelle complicité semble lier les auteurs à Chimère(s). En ressort un travail abouti et complet et une seule envie, connaître la suite.

1887 n’est pas en soi une année plus marquante qu'une autre. En France, le gros titre de l’année, c’est le scandale des décorations, scandale politico financier qui poussa le Président de la République à démissionner. Mais les plus gros scandales financiers éclateront au grand jour environ cinq ans plus tard, que ce soit celui de Panama ou des emprunts russes qui touchent profondément la France, mettant en avant un état corrompu et un capitalisme fragile. Aux Etats-Unis, la marque Coca-Cola est déposée. Mais plus qu’une année, 1887 symbolise une période. En cette fin de XIXe siècle, la France sort perdante de la guerre contre la Prusse qui s’est achevée il y a une quinzaine d’année. On a vécu l’épisode révolutionnaire de la Commune dans la foulée, mélange d’espoir et de
d
Modernité
ésespoir d’une population à la dérive. En parallèle, le monde des techniques évolue à pas de géants, dont le symbole parisien sera la tour de fer de Gustave Eiffel achevée en 1889. Le paysage urbain se transforme durablement avec l’avènement des tramways et du métro qui remplacent peu à peu le cheval, sans parler des travaux haussmanniens qui ont bouleversé la capitale pendant 20 ans et ont transformé la ville.
Paris est devenue une ville chimérique, à la fois symbole de modernité et d’élégance, mais toujours plongée dans les affres d’un passé de souffrance dont les plaies ne sont jamais cachées bien loin sous la surface. En témoigne la littérature de l’époque et en particulier l’œuvre d’Emile Zola dans ce cas précis. En effet, comment ne pas rapprocher Chimère de Nana. Publié en 1880, Nana est le neuvième roman de la série des Rougon-Macquart, chaque ouvrage traitant d’un thème précis en rapport avec son siècle, celui-ci évoque plus précisément la prostitution et son influence sur les grands de ce monde. Bien que l’action se situe quelques années auparavant, Nana se voit contrainte, tout comme Chimère d’être forte avant l’âge afin de pouvoir survivre, la différence étant que Nana ressemble plus à une cocotte tandis que Chimère est encore une
Décadence
enfant qui compte uniquement sur ce qui lui reste, soit sa vivacité d’esprit, pour échapper à sa condition.
Chimène semble passer une enfance insouciante jusqu’à la mort brutale de sa mère alors qu’elle n’est âgée que de six ans. Elle est donc contrainte de travailler pour la famille de Montpessus jusqu’à l’âge de ses treize ans, lorsque M. de Montpessus, couvert de dettes, décide de la vendre à Madame Gisèle, tenancière de La Perle Pourpre. Ce bordel à l’ancienne, comme on a pu les redécouvrir récemment dans la bande dessinée
Miss Pas Touche ou encore la réédition de Casino chez Delcourt, rassemble en son sein diverses jeunes filles chacune différente afin de mieux satisfaire les nombreux désirs des clients mais ayant au moins un point commun, leur condition d’esclave, entraînées pour la plupart malgré elles dans un engrenage auquel elles ne peuvent se dérober. Ayant très vite compris dans quel piège elle se trouve, Chimère n’hésite pas à se mettre en avant en organisant elle-même les enchères ayant pour lot sa virginité.
Violence
Cet album d’introduction, premier d’une série de six, se clôt sur un drame, laissant augurer de la suite tragique du récit.
Au niveau des auteurs, Christophe Pelinq s’occupe du scénario avec Melanÿn avec laquelle il travaille depuis longtemps, celui-ci étant plus connu du grand public sous le pseudonyme d’Arleston, soit le père de Lanfeust de Troy. Le dessinateur, Vincent n’est pas non plus un débutant puisqu’on a pu le découvrir sur la série Albatros, et dont le graphisme délicat convient ici à merveille à la mise en valeur des ornementations XIXe et à l’effronterie fragile de Chimère. Il s’agit donc d’un véritable travail d’équipe qui réussit à nous plonger dans un univers fascinant et dur,
Même si le sexe est présent dans le récit (comment pourrait-il en être autrement dans une maison close ?). Ce n'est cependant pas d’un récit érotique dont il s'agit, mais d’un récit chatoyant, extrêmement documenté et plein de rebondissements, empli de couleurs chaudes, qui n’oublie pas qu’il existe une part d’ombre derrière le décorum et  nous propose une plongée dans un monde perdu à travers les yeux de cette Cosette vengeresse.
Une nouvelle série qui commence et qui nous emmènera plus en avant dans les alcôves secrètes des maisons closes et leurs mystères. À découvrir absolument en attendant la suite.