Le Chat du Rabbin - Tome 5 - Jérusalem d'Afrique
Bande Dessinée / Critique - écrit , le 08/01/2007 (Comme Sfar le dit lui même : "Tout a sans doute déjà été dit, mais comme personne n'écoute, il faut recommencer". Le lecteur aura peut-être l'impression de rencontrer quelques passages victimes de longueurs. Jérusalem d'Afrique demeure pourtant le tome le plus abouti.
A la fin de chaque Klezmer, les lecteurs inconditionnels de Sfar ont eu la joie de découvrir l'homme posant dignement tel Marc Levy, se prenant pour George Clooney. Joann Sfar, what else ?
Sur cette photo d'un noir et blanc très chic, l'auteur confortablement assis sur son fauteuil, fixait l'objectif d'un regard séducteur, avec son chat sur les genoux. Un félin racé sans doute, moitié sphinx au pelage chartreux, trop fin pour promouvoir les barquettes Sheba. Le même qui est au centre de l'une des sagas les plus populaires actuellement lisibles. Derrière ce magnifique portrait auto-valorisant et montrant une certaine idée du bon goût, une autre constatation se dissimulait, au delà de toute cette mise en scène. Tout comme d'innombrables petites filles qui ont un jour attrapé maladroitement un crayon pour raconter des histoires en dessinant, Sfar utilise son animal familier pour nous plonger dans son univers.
Est-il nécessaire de vous rappeler le principe du Chat du Rabbin ? Le Rabbin Sfar vit paisiblement à Alger avec sa fille Zlabya, un perroquet peu loquace et un chat sans nom. Un jour, ce dernier décide de dévorer le volatile et se retrouve doué de parole. Son maître lui apprend les rudiments de la Torah. Le félin ouvre son esprit vers d'autres horizons et surveille sa maîtresse supportant un mari plongé dans l'interprétation mouvante des écrits sacrés. D'un oeil amusé, le minou ne mâche pas ses mots pour formuler des critiques acerbes sur les théories infondées en remettant toujours en question les convictions des autres. Le chat : une incarnation du Malin ? Voilà un jugement facile dont beaucoup se contenteraient, mais l'animal ne fait que de souligner l'absurdité de propos contradictoires à la réalité de la vie. Et lorsque le chat abuse de son don au point de ne plus pouvoir s'exprimer, il ne peut qu'assister au manège humain et s'incruster dans leurs valses sentimentales pour jouer les oreilles attentives. De son oeil aiguisé et curieux, nous découvrons cet univers où les différentes religions cohabitent malgré les divisions commençant à effriter les peuples. Celui qui est censé être le plus ignorant prouve que son point de vue n'a pas à être ignoré pour autant.
Dans ce nouvel épisode, Sfar s'attaque à un sujet classique et en fait l'aveu lui-même : le racisme. Nous pourrions même pousser plus généralement le thème vers l'intolérance séparant les différent peuples face aux dogmes religieux. On sent le savoir-faire du philosophe dans son analyse : thèse, antithèse et synthèse décortiquent ainsi le tome pour bien exposer tous les angles de ce problème intemporel qu'ont connu chaque société. Un jour, Hmar, le mari de Zablya attend une cargaison importante de livres en provenance de Russie. En ouvrant la caisse, il découvre avec effroi un clandestin russe apparemment sans vie. Il faut enterrer dignement la personne mais quelle est la religion de cet homme ? Comment les Azkhénazims enterrent leurs propres morts. Alors que la discorde envahit l'assemblée réunie dans la demeure d'Hmar, le russe revient à la vie. Il était simplement évanoui. Dans ce brouhaha dont il ne saisit pas le sens, seul le chat comprend ses paroles et peut discuter avec lui. Les hommes même dans leur propre langue ne parviennent pas à s'accorder entre eux. Le Rabbin Sfar l'amène au sein de sa famille. Tout le monde accueille du mieux possible cet étranger arrivé malgré lui à Alger. Cela ne va pas sans provoquer certaines tensions au sein du couple de Zlabya.
Les cultures s'entrecroisent et les croyances s'affrontent. Au fil du temps et après avoir trouvé un juif d'origine russe pour traduire les dires de son hôte. Ce dernier commence alors à leur parler d'une utopie : la Jérusalem d'Afrique. D'après une légende certifiée par les espions russes, il existerait en Ethiopie les descendants de la reine Saba et du Roi Salomon. Cette population noire pratique un judaïsme très strict et parle encore l'Araméen. Est-il possible que les quand-dira-t-on soient réalité ? Tous commencent à imaginer cette terre préservée où réside un judaïsme purifié de tout. Le rêve devient une obsession: tous veulent aller vérifier par eux même si la réalité rejoint la fiction. Le rabbin Sfar et son chat sont alors embarqués dans une expédition où ils traverseront les différentes terres d'Afrique pour avoir la réponse à leur question commune. Sur leur chemin, de nombreuses embûches viendront entraver leur perception du judaïsme et de la cohabitation pacifique entre différentes religions. Plus généralement, ils devront faire face à l'hypocrisie des peuples colonisateurs les considérant comme des sous-hommes.
Des sous-hommes. Voilà la perception que nous pouvons avoir en refermant cet album. Chacun veut ressentir une certaine supériorité à l'égard de l'autre du fait de son "origine" ou de ses "coutumes". Il est difficile d'écouter ceux défendant une fraternité entre les différentes cultures. Le Dieu universel se transforme en un objet de culte invisible, suscitant les convoitises et sujet à des revendications d'appartenance à un groupe spécifique. Mais Sfar ajoute de l'optimisme en illustrant la possibilité de cohabiter sans discrimination. Les hommes redeviennent alors ce qu'ils sont, vivent et cohabitent ensemble pour atteindre le même but. Et quoiqu'il y aura au bout du chemin, le principal et de traverser les épreuves et vivre les expériences ensemble. Unis.
Certes Sfar évoque un sujet classique qui est perpétuellement remis au devant de l'actualité. Mais comme il le dit lui même : "Tout a sans doute déjà été dit, mais comme personne n'écoute, il faut recommencer". Le lecteur aura peut-être l'impression de rencontrer quelques passages victimes de longueurs. Jérusalem d'Afrique demeure pourtant le tome le plus abouti.