Wotan - Interview d'Eric Liberge

/ Interview - écrit par plienard, le 07/09/2011

Tags : liberge eric editeur descendres guerre auteur tome

Venez lire l'interview exclusive d’Éric Liberge, l'auteur de Wotan, son dernier album chez Dupuis. Il nous parlera bien sûr de son album mais aussi de ses projets.

Après la lecture de Wotan, KRINEIN ne pouvait pas en rester là. Une critique c’est bien, mais il devenait évident que cet album méritait un peu plus. Nous avons donc contacté son auteur, Éric Liberge, qui nous fait l’amitié de répondre à nos questions et il gratifie les lecteurs de KRINEIN d’un petit cadeau.

KRINEIN : Le personnage de Louison est particulièrement sombre. Il refuse toute aide. On a du mal à comprendre l’intérêt de ce personnage ?
Éric Liberge : Louison est un enfant qui a perdu tout un pan de sa mémoire à cause d'un choc, que l'on découvrira dans la suite de la série.
Louison
Il est perdu, livré à lui-même, ne se souvient plus des visages de ses parents, ne sait pas s'ils sont en vie. Il réagit en conséquence et veut se protéger dans une période et un environnement de plus en plus hostiles. Sa rébellion n'a d'égale que sa détermination à survivre et pour cela, il fuit en permanence - ce qui peut le rendre antipathique. Mais il n'y a rien de plus ennuyeux que les héros heureux et coulés d'une pièce. Ce type de personnage m'intéresse beaucoup car avec eux, tout est possible. Ils peuvent choisir de rester dans la peur et le repli sur eux-mêmes, ou au contraire, évoluer vers un changement profond qui va les ouvrir sur le monde. Tel est l'"intérêt" de Louison. Dans le tome 1, évidemment, ce mouvement n'est qu'esquissé. Son évolution face à la violence de la guerre et aux impasses qu'offre le fanatisme, vont clairement être exposées dans le 2e album, et bien sur le 3e.

Pourquoi ce côté fantastique lié à ce personnage ?
Le fantastique est mon terrain de jeu. Louison est un enfant, et le tome 1 se passe principalement à travers son regard enfantin. Dans l'esprit d'un enfant de 10 ans, le merveilleux n'est jamais bien loin pour tenter d'expliquer le monde, voire de s'en protéger. C'est ce que Louison fait avec ses rêves et ses "visions". Cette incursion du fantastique dans le récit peut-être due à la faim, la fatigue, la fièvre… Sur ce plan, je laisse le lecteur choisir. Cela me permet de briser aussi le récit purement historique et de n'y plaquer que des faits, des événements que tout le monde connait déjà. Wotan parle principalement de l'évolution de personnalités à travers la torture que la guerre occasionne sur les individus, et comment elle bouleverse leurs vies.

Les dessins sont surchargés, les cases explosées, est-ce la volonté de montrer un monde en plein chaos ?
Je ne dessine pas dans l'idée de surcharger, mais de détailler, pour construire une réalité avec mon trait, et contribuer à l'ambiance de narration. Wotan retranscrit une période noire de notre histoire. Le trait colle logiquement à cette charge émotionnelle, qui est certainement chaotique, et qui va croissant.
Pour les cases et le sens de lecture, je m'applique à respecter les codes de la bande dessinée classique, tout en amenant un style de pages "globales" que j'aime beaucoup et que je vois rarement dans les albums aujourd'hui. On trouvait plus cette manière de faire dans la BD des années 70, avec cette recherche d'esthétique dans un découpage parfois déroutant, mais qui donnait à la page une identité propre. Donc, sans en abuser, je m'amuse à créer des chemins pour mes cases, des figures
symétriques, un aspect général propre à l'ambiance. C'est triste de faire à chaque page un gaufrier de 9, 12 ou 16 cases, toutes à l'horizontale...

Quelle a été la technique pour rendre des pages aussi surchargées ?
La patience.

Depuis combien de temps préparez-vous ce projet ?
Je travaille sur Wotan depuis 2004. Je me suis énormément documenté et le récit, au cours de mes lectures, est passé par plusieurs formes, pour ne retenir que le propos essentiel. J'agis toujours comme ça, comme sur une sculpture que l'on dégrossit. Je préfère avoir beaucoup de matière, faire mon choix et élaguer plutôt que de manquer de sources. J'ai aussi besoin de beaucoup de temps, pour savoir si telle ou telle séquence est justifiée, si elle ne va pas au contraire alourdir le propos, ou le noyer. Je note donc les séquences que je voudrais voir figurer dans l'album - généralement, elles s'imposent à moi - et je les ficelle pour construire la narration.

Au travers du texte d’introduction de l’album et du dossier à la fin, on a l’impression que cet album est plus personnel que les autres. Y a-t-il des éléments autobiographiques ou familiaux ?
En 1939, mes parents étaient enfants. Je me suis forcément mis à leur place, avec mes propres souvenirs, pour imaginer comment un petit réagirait dans un monde déchiré par une guerre qui vient bousculer l'enfance. C'était aussi pour moi, dans le cahier de fin, de consigner les récits qu'ils m'ont raconté 100 fois. Ils corroborent tout à fait la période traitée et je suis sur que des gens de leur génération se retrouveront dans leurs souvenirs.

Le tome 2 est-il déjà en cours et des dates sont-elles déjà définies pour les deux prochains albums ?
Je suis effectivement en train de terminer le tome 2, qui sortira normalement fin janvier, ou pour mars 2012. Le tome 3 est prévu pour fin 2012.

Connaissiez-vous KRINEIN ?
J'ai eu l'occasion d'aller plusieurs fois sur le site, qui est bien fait. Il m'arrive de consulter des choses dessus.

A part les deux prochains tomes de Wotan, avez-vous d’autres projets ou envies ?
Je termine aussi en ce moment une belle biographie de Camille Claudel à paraitre chez Glénat pour mars 2012, avec mon partenaire Vincent Gravé. Il est au dessin, et je fais scénario et couleurs. Un album qui, outre le fait de parler de la vie de cette femme géniale, parlera aussi de l'isolement et des conséquences dramatiques que cela peut avoir sur le parcours d'un artiste. Je prépare aussi, pour 2013-2014, deux nouveaux volumes à Mardi-Gras DESCENDRES. Ils se passent avant la série des 4 albums sortis et traiteront de la construction du Purgatoire, autour du personnage du facteur.

Merci à Éric Liberge pour sa disponibilité, son talent et sa gentillesse. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je les invite à lire la critique de l’album (si ce n’est pas déjà fait) et/ou à visionner la bande annonce ici).


Le cadeau de l'auteur !