7/10Virginia

/ Critique - écrit par gyzmo, le 03/10/2009
Notre verdict : 7/10 - Se souvenir des belles choses. (Fiche technique)

Tags : national park etats washington parc virginie beach

De visu, les thèmes abordés dans Virginia - petit roman graphique de Dash Shaw antérieur à son imposant Bottomless Belly Button, ont la fâcheuse tendance de nous enfoncer un peu plus dans le marasme ambiant...

Une maman victime de la maladie d'Alzheimer, muette comme une tombe, les souvenirs nostalgiques d'une amitié d'enfance, et le désir obsédant de revivre les moments forts de cette relation foudroyée par la faucheuse, quitte à ne pas profiter d'un amour naissant aux fondations bancales pour tenter de s'extirper du passé et d'entamer de nouvelles expériences... De visu, les thèmes abordés dans Virginia - petit roman graphique de Dash Shaw antérieur à son imposant Bottomless Belly Button, ont la fâcheuse tendance de nous enfoncer un peu plus dans le marasme ambiant. C'est sûrement ce que vous vous êtes dits en lisant cette introduction un peu brute. C'est d'ailleurs exactement ce que j'ai pensé en lisant la ligne de vie de cette Virginia non désirée. Des pleurs, des morts, des losers, des remords... Trop peu pour moi. Surtout en ces moments de trouble. Hé puis, un jour où le moral est au beau fixe, par curiosité et un peu par conscience professionnelle (légèrement périmée), on se dit qu'il serait peut-être temps de fouiller de fond en comble l'histoire de Dash Shaw, de passer outre sa supposée énergie négative, au risque d'aller torturer sa bonne humeur passagère...

Virginia © Ca et Là
Virginia © Ca et Là
En fait, Virginia n'est pas aussi crépusculaire qu'on pourrait le croire. Par bien des aspects, Virginia est pire que cela ! Car être le témoin impuissant de personnages misérables qui, (pile) ne savent que vivre dans le passé ou (face) perdent le contrôle de leur souvenir d'antan, n'a rien d'une sinécure. Et c'est la boule au ventre que l'on suit les fatalités respectives de Virginia, de sa maman et  du petit Richard, avec l'espoir illusoire de déboucher sur un happy-end, même dérisoire, même incongru. Le voyage est d'autant plus éprouvant que ce roman graphique fait mine de sortir des sentiers de l'imaginaire en utilisant à plusieurs reprises des documents qui semblent tirés d'une triste réalité (dessins d'enfant, photographies, bulletin d'information...). Arrivé vers la fin de ce récit, l'interrogation submerge, écrase. Entre fiction et réalité, repères brouillés, noyade assurée. Le fil rude de la lecture est pourtant sauvé des eaux. A plusieurs reprises. Dash Shaw est particulièrement talentueux pour glisser dans un récit assez plombant quelques traits de lumière, lesquels se traduisent par une forme d'humour timide mais originale (digressions Historiques), un esprit très imaginatif et poétique lorsqu'il est question de figurer en vignettes de puissantes émotions (la perte de mémoire progressive de la maman, la « disparition » de Richard, la maltraitance...). Malgré ces pépites de mises en scène, malgré la simplicité visuelle de Shaw et la monochromie rouge toute douce, il se dégage de Virginia un malaise plutôt envahissant. Comme si un lien s'était établi entre les protagonistes et le lecteur. Comme si nous avions hérité de leur incapacité à trouver notre place, à aller de l'avant. Le comble de l'identification, preuve en est la pertinence du propos de Shaw, peut-être ? Un sentiment preneur d'otage, qui empêche d'entrevoir du changement, de meilleurs auspices... pourtant - à en croire le dénouement ouvert de l'auteur, bel et bien là. Il suffit de chercher, sans se retourner.

_________________

Nb : cette édition française de Cà et Là comprend également un mini comic de 24 pages sur le mythe de Narcisse. Et en bonus, les étapes de confection de Virginia : c'est très intéressant, et c'est par là...