8.5/10Les Survivants de l'Atlantique

/ Critique - écrit par iscarioth, le 31/08/2005
Notre verdict : 8.5/10 - 1er cycle (Fiche technique)

Les Survivants de l'Atlantique est une véritable saga, sinon une très large biographie. La série est toutefois à déconseiller à ceux qui ne supportent pas la surenchère et que l'on caricature l'histoire.

Mitton et l'arrivée à maturation d'un genre

Jean-Yves Mitton est principalement connu pour être l'auteur de deux grands classiques de la bande dessinée franco-belge : Les Chroniques Barbares et Les Survivants de l'Atlantique. Deux séries menées en parallèle tout au long des années quatre-vingt-dix. Avec Les Chroniques Barbares, Mitton participe à l'éclosion d'un genre, le médiéval. Avec les séries Foc (1983-1993 par Durand et Bordes) et Mortepierre (1995- ? par Aouamri et Tarvel), les chroniques barbares a contribué à la maturation d'un genre, porté en puissance par la maison Soleil tout au long des années quatre-vingt-dix. Une série du genre médiéval, ce n'est pas simplement une aventure s'articulant pendant le millénaire obscur, c'est aussi un récit qui se joue des clichés de l'époque : un univers apocalyptique, où le temps est en permanence à la pluie, où l'on viole, on massacre, on torture, on pille, sans aucun détour graphique...

L'histoire

Les Survivants de l'Altantique, c'est l'histoire de la vie de Yann Le Scorff, un jeune breton, fils de cartographe. Nous nous situons au croisement de deux siècles, à une époque que l'on a appelé à posteriori « le temps des révolutions ». L'aventure commence en 1788 pour se terminer en 1815. Le temps parcouru est large et la vie du jeune Le Scorff va être aussi tumultueuse que celle de son pays en ces temps troublés. Insoumis, rebelle, Le Scorff va être pris en grippe par le tyran local, le prévôt Kerbeuf. Bien malgré lui, le jeune breton va être mêlé à une longue et sanglante chasse au trésor...

« Les vents tournent vite entre ces deux siècles »


Les Survivants de l'Atlantique
se déploie à un moment de l'histoire de France particulièrement trouble et violent. Mitton dénonce, souvent en les caricaturant, les barbaries commises en ces temps révolutionnaires et donc forcément hypocrites. Le commerce triangulaire, l'esclavagisme, les privilèges et la misère sous la monarchie, la terreur, les épurations et l'arrivisme sous la très incertaine Ière République. Tout au long de la série, nous nous situons sur le fil de l'histoire. Des personnages historiques (Nelson, Napoléon Bonaparte, Toussaint Louverture, Fouqué,...) côtoient des personnages fictifs (Le Scorff). Ainsi, certains lecteurs ont mal supporté la confrontation entre Napoléon Bonaparte, caricaturé comme un petit italien colérique et vulgaire et Yann Le Scorff, incrusté dans l'histoire de France. L'histoire est ici en fait un décor pour l'aventure. Mais la fiction est tout de même parfois assez proche de la réalité des faits (les révoltes d'esclave, la purge de la révolution). Les événements se déroulant en parallèle de l'évolution du héros Yann sont quant à eux toujours véridiques, parfois rapportés avec beaucoup d'exactitude, sous une apparente caricature (les évolutions politiques et sociales en France sous la République et l'Empire). Par exemple, l'évolution de Toussaint Louverture, qui est un personnage d'assez grande importance dans le premier cycle des Survivants, est plutôt fidèle à sa biographie.

Une odyssée grandiose

Les Survivants de l'Atlantique n'est pas une série à épisode, une franchise à rallonge comme l'est une série comme Thorgal. Les Survivants de l'Atlantique raconte une histoire une et indivisible, malgré sa segmentation en neuf tomes. Il s'agit de la vie d'un homme, que l'on voit évoluer et prendre en âge, durant 27 années. Très peu de séries osent faire vieillir leurs personnages, surtout dans un genre comme l'aventure. Beaucoup d'auteurs préfèrent faire évoluer leur histoire et leurs personnages au ralenti, au compte-goutte, pour être sûr de perdurer, au risque de perdre toute crédibilité. La teneur de cette série est incroyable. Les Surivants est une série très chargée en dialogues, en personnages, en décors et en détails. Chaque album est beaucoup plus long à lire qu'une BD habituelle. La série possède la teneur d'un très large roman. En trois tomes, on arrive à accumuler un contenu et une expérience que d'autres séries peinent à déployer sur dix ou vingt albums. Le lecteur est humainement très impliqué dans l'histoire et est de plus en plus ébloui, au fil des tomes, par le chemin parcouru. Au début du premier tome, Yann et Josselin ne sont que des gamins de 17 ans et, seulement deux tomes plus tard, on les retrouve trentenaires, barbus, usés par le temps et les aventures, en ayant l'impression de ne pas les avoir quittés une seconde... Ce parti pris de faire vieillir les personnages en rajoute grandement à l'excitation du lecteur et à son sentiment d'avoir parcouru l'infini aux cotés des personnages.

La grande aventure


L'excitation que l'on ressent à la lecture des Survivants de l'Atlantique est aussi due à l'univers, certes impitoyable, mais ô combien exaltant de la grande aventure. Du début à la fin de la série, on ne sait jamais quelle tournure va prendre la vie du héros. Ses objectifs sont en permanence remis en question. Beaucoup de personnages secondaires trouvent la mort, même parmi les plus importants. Notre seule certitude, tout au long de l'aventure, est celle de voir Yann, le héros, survivre à toutes les péripéties. Les Survivants de l'Atlantique ressuscite les thèmes de la navigation, de l'exploration, de la piraterie... La mer impitoyable, une chasse au trésor. On pense beaucoup à des références cinéphiliques du genre comme Les Révoltés du Bounty ou Master and Commander. Mais la grande aventure a aussi un fond. Liberté, égalité, fraternité, c'est le nom des trois bateaux que mène à un moment Yann Le Scorff, avec son équipage composé d'affranchis africains et de pauvres bretons. La chasse au trésor, pour Yann, c'est en fait la course à l'utopie. Une société heureuse et amoureuse, sans conflits et conforme aux idées de Diderot et de Voltaire. On pense à ce moment de l'aventure (tome 4) au film de Boyle, La Plage.

Castrations, viols, décapitations, génocides...

Les Survivants de l'Atlantique n'est pas une série tous publics. A de nombreux moments, on retrouve l'une des caractéristiques du genre médiéval porté par les Chroniques Barbares : l'horreur, la violence graphique, le gore, presque. C'est aussi pour cette raison que les Survivants peut éprendre le lecteur. Ce dernier est malmené. Les personnages auxquels il s'attache sont torturés et meurent dans d'horribles souffrances. Le dégoût passe aussi par le sexe, souvent présenté sous sa forme la plus crasseuse et violente. A noter, le passage, particulièrement malsain, pendant lequel Le Guenn arrive à dominer sexuellement LocMaria, la femme de Yann, pendant que ce dernier est en train de dépérir, pendu par son crochet à l'arrière du bateau. Une époque dépeinte comme barbare et se donnant les moyens d'être crédible, y compris dans les dialogues. A la manière d'un Tarvel, Mitton sait broder des dialogues très épais et de grande qualité, mêlant le vieux français et le patois local. Les dialogues sont particulièrement riches, comme on peut le constater dès les premières pages du premier tome, avec cette discussion entre Yann et le père Jaouenn...

Une unité, trois cycles

Scénaristiquement, Les Survivants de l'Atlantique est très linéaire. On l'a dit, les neuf tomes forment un tout. Mais techniquement, cette unité est moins évidente. Pour preuve, on distingue facilement trois cycles de trois albums. Deux éléments différencient le premier du deuxième cycle : l'époque de production (entre 1992 et 1993 pour les trois premiers tomes et entre 1997 et 1999 pour les trois suivants) et le dessinateur. En entamant le deuxième cycle, Mitton abandonne le dessin pour ne plus se consacrer qu'au scénario. Félix Molinari assure assez bien la transition, même si l'intensité et la nature des regards n'est plus la même, le trait de Mitton étant plus épais, plus ombragé que celui de son nouveau collègue... Entre le deuxième et le troisième cycle, la scission se fait pour la première fois qualitativement. Les trois derniers albums sont moins bons, moins crédibles. Les personnages deviennent trop stéréotypés. Yann, en particulier, qui passe du républicanisme et des lumières de son temps à un humanisme caricatural et fleur bleue. Le personnage principal s'enferme dans sa fadeur super héroïque avec sa capacité à échapper à toutes les morts et à tomber amoureux d'une femme différente tous les jours. Les dialogues aussi sont beaucoup moins crédibles et dépaysants. On retiendra la scène de sexe particulièrement ridicule du livre septième (Louisiane... l'enfer au paradis). Mitton est même allé jusqu'à ressusciter Assomption en la personne de Iduma, mais sans saveur ni profondeur...


Les Survivants de l'Atlantique est une véritable saga, sinon une très large biographie. Du livre premier au livre neuvième, 27 années s'écoulent dans la vie de Yann et dix dans la vie de Mitton, l'auteur. La série est toutefois à déconseiller à ceux qui ne supportent pas la surenchère et que l'on caricature l'histoire.

Tome 1 - Le secret de Kermadec (1992)
Tome 2 - La route des esclaves (1993)
Tome 3 - L'île de la liberté (1993)
Tome 4 - Trésor mortel (1997)
Tome 5 - Tempête sur Trafalgar (1997)
Tome 6 - La belle, le diable et le corsaire (1999)
Tome 7 - Louisiane... l'enfer au paradis (2001)
Tome 8 - Un océan de larmes et de sang (2002)
Tome 9 - Dernier naufrage (2003)