8.5/10Sha

/ Critique - écrit par Xalcor, le 21/05/2007
Notre verdict : 8.5/10 - IndispenShable (Fiche technique)

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Sha est une oeuvre d'art agrémentée d'une histoire sympathique (bien que violente par moments...), à lire en prenant son temps, et en s'immergeant dans le panorama offert, souvent grandiose.


D'où Sha vient ?

Je pourrais en incipit vous récrire l'histoire de la rencontre entre Pat Mills et Olivier Ledroit, mais Gallu l'a parfaitement fait à ma place dans sa critique de Requiem, Chevalier Vampire, donc nul besoin de le répéter. Sha est le résultat de la première collaboration entre les deux hommes, avant qu'ils ne s'attaquent à leur cycle Requiem.

C'est quoi, Sha ?

Sha narre l'histoire de Duffy, policière à New Eden, un mégamégalopole futuriste. D'abord confrontée à une enquête difficile (la mort d'un magnat de la vente d'armes), elle va peu à peu se rendre compte qu'elle est la réincarnation d'une sorcière, Lara, torturée et tuée au Moyen-Âge, et bien décidée à se venger, quelle que soit l'époque. Dans sa quête, un personnage étrange, Sha, l'aidera, d'abord à se révéler, puis à tuer les réincarnations de ceux qui ont fait souffrir Lara : le bourreau, le Duc, la meilleure amie de Lara qui l'a trahie, l'Inquisiteur...

Sha ressemble à quoi ?

Le plus simple, et le plus réaliste, est de dire « Sha ressemble à du Ledroit ». Dire que son style est unique relève de la vérité générale, mais le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il nous en met plein la vue, parfois par pur plaisir. La qualité est constante, et Requiem en est le prolongement direct. 

Ledroit nous emmène dans une cité à la fois immense, majestueuse et glauque. Si rouge et vert dominent dans son cycle suivant, dans Sha, la part belle est laissée au jaune et au bleu, bien que les démons apparaissant soient bien évidemment d'un beau rouge sanglant. On ne retrouve pas, ou peu, de manichéisme dans l'emploi des couleurs, comme c'est le cas dans Requiem, mais j'arrêterai ici la comparaison systématique, car je ne connais pas assez la série sur le Chevalier-Vampire pour en juger ; il est néanmoins indéniable que les démons de Sha ont servi de « tests » pour les futurs vampires...
Le style des personnages s'accorde parfaitement avec le graphisme des décors, réalistes et - bien sûr - bourrés de détails jusqu'à la moëlle. Et l'imaginaire des deux auteurs ne s'est pas donné trop de limites, à travers les multiples robots, les véhicules volants ou non, les vêtements...tout est parfaitement dans l'esprit cyber-gothique.
Parlant de décors, pour ma part, la première vue a été un choc, et j'ai vainement cherché à trouver des traces de retouche numérique sur la vue d'une ville, par exemple : rien. Plein les mirettes. Je disais « par pur plaisir » : parfois, une planche magnifique sert simplement à illustrer, sans aucun dialogue, le lieu où passent les personnages : vue plongeante sur un quartier, sur un mur décoré...
Notez que même si leur organisation est souvent excentrique, Ledroit respecte les cases de la BD, ce qu'il aura tendance par la suite à oublier de faire...
Quant au pompon, le personnage de Sha, autant le garder pour la fin : jamais autant de beauté, d'élégance et de réalisme n'avait été atteint en n'utilisant que des teintes allant du noir au gris foncé, particulièrement dans une BD en couleur. Chacune des apparitions de la sorcière est un régal, parfois par sa semi-transparence, souvent par la manière dont l'image est montée : une tache noire au milieu d'un océan coloré. Ledroit flirte très dangereusement avec l'art à l'état pur.

Shapristi ! Et le shénario ?


Bon, nulle BD n'est parfaite, et si le bât blesse par certains côtés, c'est indéniablement par celui-là, bien qu'il ne soit pas ridicule.
Un peu de pondération n'aurait sans doute pas nui à la qualité de l'histoire, mais c'est sans doute un parti pris caricatural pour Mills, dont on se demande parfois s'il ne parodie pas certaines oeuvres de science-fiction. En effet, les méchants sont très méchants (et même littéralement démoniaques), les catholiques sont très intégristes, le culte de la télévision est nettement moins subtil que la moindre des émissions de 1984, bref, l'extrémisme est extrême.
Le scénario reprend certains aspects de V for Vendetta, particulièrement le côté « Conseil des cerveaux » qui dirige la ville, chacun étant responsable d'un des aspects de la vie : nourriture, culture, télévision, ordre... ce qui donne finalement un scénario qui est cohérent mais... auquel il manque un petit quelque chose. Les trois tomes se résument à une chasse puis une fuite de Duffy afin d'éliminer tous les responsables de la souffrance de Lara qui sont en réalité des Démons cachés (bouh les vilains). Les critiques formulées (société de consommation, culte du petit écran, intégrisme) sont saines, mais auraient sans doute pu gagner en élégance. Je chipote : Ledroit et Mills ne voulaient certainement pas nous faire réfléchir pendant des semaines à travers leur BD, non, ce n'est pas un Blacksad, eux veulent en mettre plein les yeux à travers un scénario cohérent, et ils y parviennent.

C'est comme Sha...

Sha est une oeuvre d'art agrémentée d'une histoire sympathique (bien que violente par moments...), à lire en prenant son temps, et en s'immergeant dans le panorama offert, souvent grandiose. Allergiques à la démesure, passez votre chemin, fanatiques de la philosophie, de même, les autres, conservez l'ouvrage dans votre bédéthèque, et parcourez parfois, par pur plaisir, les splendides illustrations : vous verrez un film sans avoir à allumer votre télé.


Tome 1 - The Shadow One (1996)
Tome 2 - Soul Wound (1997)
Tome 3 - Soul Vengeance (1998)