Reiser - L'homme qui aimait les femmes - Une histoire du féminisme

/ Critique - écrit par Maixent, le 15/11/2021

Tags : reiser livres femmes jean humour tome histoire

"Féministe n'est pas une insulte"

On ne présente plus Reiser. D'une acuité sans pareil dans la mise en scène de ses contemporains avec seulement quelques traits bien sentis et des mots choisis, il reste, près de 40 ans après sa mort d'une incroyable modernité, ce qui n'est pas vraiment rassurant dans un certain sens. Pilier fondateur de Hara-Kiri et Charlie Hebdo, il ne s'est jamais limité à ces médias « bêtes et méchants », proposant une œuvre vaste et engagée politiquement et socialement. Quoi de plus logique dans cette démarche humaniste et touche-à-tout que de se pencher sur le féminisme, grande question de son siècle à laquelle nous n'avons toujours pas répondu. Il s'y intéresse aussi bien du point de vue de son histoire personnelle que journalistique, attentif aux grands bouleversements dont il est témoin comme la dépénalisation de l'IVG en 1975. Cette anthologie compile tous les rapports divers et variés que Reiser a pu avoir avec les femmes et les relations plus ou moins houleuses entre elles ou avec les hommes, livrant une histoire du féminisme à travers le regard d'un éternel amoureux qui ne perd cependant ni de son cynisme et de son mordant.


"Jeanine, une autre façon d'être mère"

 

Sous l'égide de Jean-Marc Parisis spécialiste de Reiser en plus d'être éditeur et romancier, l'ouvrage propose une sélection riche de planches et dessins entrecoupée de citations de l'auteur et de personnalités ayant côtoyé l'artiste ou partageant sa vision. Soit plus de 200 bandes et dessins autour du féminisme souvent drôles, parfois tragiques mais toujours d'une qualité graphique et narrative d'une efficacité redoutable, marquant durablement les esprits.

Pour Reiser, les femmes ont leur place à chaque instant. Elles ne sont pas un élément narratif ou un faire-valoir car présentes en tant que figure centrale de son œuvre, le pivot autour duquel il construit sa pensée. On trouvera par conséquent ici des éléments issus de tous les albums qui ont fait sa renommée (Les copines, Jeanine, Gros dégueulasse, etc.). Comme Reiser le disait lui-même : « je fais toujours les femmes de la même taille que les hommes ». Ce n'est pas tout à fait vrai. Souvent elles sont plus grandes... Pour autant elles ne sont pas placées sur un piédestal qui pourrait les objectifier ou les transformer en élément du sacré. Il reconnaît tout simplement leur force et leur humanité qui passe aussi par leur faiblesse dans un féminisme égalitaire et non violent.
Sororité...Pas toujours.

 

Dans ces pages, nous retrouverons des moments d'anthologie, accompagnés souvent d'une note rappelant brièvement le contexte historique mais ne prenant pas le pas sur le gag. Car au même titre que ses contemporains, que ce soit Desproges ou Coluche, Reiser fait partie de ces grands humoristes sachant manier les mots et les situations même tragiques pour des moments d'humour inoubliables. Il peut être didactique, explicitant des sujets sérieux et profonds avec beaucoup de talent, mais il ne faut pas oublier que le principal c'est de se fendre la gueule. On retrouvera donc l’inénarrable Jeanine surprise en plein moment d'autosatisfaction par son fils. Des copines qui ont le tour du monde dans leur lit ou le tour du quartier en tandem. D'autres qui testent l'impact de l'alcool sur leur fiancé avant de lui mettre la bague au doigt. Une galerie de personnages divers et variés tous aussi drôles les uns que les autres.


La solution a beaucoup de problèmes

 

Au-delà de cet humour ravageur, tout l'album, tout comme chaque trait, est politique. Reiser a compris et suivi le M.L.F. qui se développe dans l'après Mai 68. Sans militantisme déplacé ou de victimisation, il va insuffler à ses dessins toutes les idées progressistes glanées auprès de ses rencontres. Conscient des difficultés d'être une femme dans une société occidentale faussement égalitaire, il ne néglige cependant pas leurs défauts tout en gardant un regard doux mais sans complaisance. Issu d'une époque où l'on osait se permettre d'aller trop loin, son message cru est parfaitement entendu, sans tourner autour du pot. On pourrait l'accuser d'être vulgaire mais c'est une réaction à une société qui ne l'est pas moins sous couvert de bienséance et Reiser apporte une réponse claire à tous les frileux qui se triturent le cerveau pour trouver des solutions et les enfoirés qui en profitent, un bon coup de pied dans les couilles...

Encore une fois, Reiser le confirme, il est au Panthéon de la Bande dessinée française, enfin au bistrot juste à côté, assis en terrasse avec une femme qui rit à gorge déployée et n'en est que plus belle.