8/10L'Ordre des Dragons - Tome 1 - La Lance

/ Critique - écrit par athanagor, le 21/05/2008
Notre verdict : 8/10 - Gaaaarde à vous ! Cracheeeez feu ! (Fiche technique)

Istin et Rodier nous plongent dans une Allemagne aux prises avec l'aspect le plus sombre de son histoire et en rajoutent une couche avec des événements surnaturels encore moins cools.

La collection Secrets du Vatican des éditions Soleil tente de réinventer des pans de notre Histoire et  de nous les présenter comme étant ce que l'on ne nous dit pas. Sous-entendant que le Vatican est au courant de tout, mais nous cache ces choses trop effrayantes ou propres à faire vaciller la foi. Merci à la mythologie de la bibliothèque de ce petit état et à son « enfer », lieu où, paraît-il, sont rangés les livres les plus abominables qui soient, loin des yeux et de la conscience du pêcheur débile et rustre. Soyons franc, pour faire tenir debout une histoire partant de ce genre de postulat, il faut être assez balèze. Il s'agit de pondre quelque chose d'intéressant et crédible, sans tomber dans l'ennui, la redite ou des explications effroyablement longues. Certains échouent, d'autres, comme les auteurs du présent album, s'en sortent plutôt bien, et nous embarquent mine de rien dans leur petit délire.

Allemagne, mai 1933. Eva voit son ami Elie
 Strauss, ethnologue réputé, se faire dessouder sous la fenêtre de son appartement. A cette époque, quoi de plus commun me direz-vous ! Et il est vrai que depuis la désignation de Hitler comme chancelier en janvier, les choses bougent pas mal. Tags antisémites sur des échoppes minutieusement sélectionnées, barbecue de livres en place publique et donc, pourquoi pas, exécution sommaire en pleine rue pour motif d'appartenance à « pas comme nous ». Bref l'habituel mode d'expression des races supérieures. Seulement voilà, avant de mourir, Elie a glissé dans la boîte aux lettres d'Eva (j'en vois qui sourient encore) une lettre et une clé, l'une pour expliquer que l'autre la mènera à un terrible secret. Considérant cette nouvelle information, peut-on toujours voir cet assassinat en pleine rue comme une exaction de plus, ou le professeur Strauss a-t-il été tué à dessein ? Au final, l'un ou l'autre, ça lui fait une belle jambe.

Sur cette trame de départ, et selon le cahier des charges de la série qui se plaît pas mal dans l'occulte et le paranormal, Jean-Luc Istin arrive à nous faire une sympathique petite histoire. Le scénariste met au point une sorte d'enquête policière prenant corps dans cette Allemagne déchirée, en l'attachant fermement à l'Histoire grâce à la présence de personnages authentiques, tels Joseph Goebbels, Ministre de la propagande, et Karl Haushofer, qui dirigea l'institut de géopolitique de Munich. Il profite
également des lourdes suspicions qui pèsent sur ces personnages concernant leur attachement à l'occultisme par le biais de l'Ordre de Thulé, société qui participa à l'élaboration du mysticisme nazi ô combien touffu, pour faire basculer le tout dans un récit fantastique. S'appuyant sur quelques théories loufoques qui jouirent d'un certain crédit à l'époque, comme la Welteislehre, théorie de la glace éternelle de Hans Hörbiger, et celle de la Terre Creuse de Halley (bien que celle-ci ne soit pas nommée, mais serve à l'intrigue), Istin arrive à rendre cette aventure intéressante par l'intégration et l'articulation de toutes ces références. Le tout rappellera à certains Les vierges de Satan de Denis Wheatley, où la réalité des événements surnaturels est sans cesse subordonnées au pragmatisme du raisonnable, rendant les révélations toujours plus probables, donc plus inquiétantes.

Le tout est servi, pour ne rien gâcher, par des dialogues qui sonnent juste, et une narration qui cherche le plus possible à rendre justice à la réalité, narration emmenée par les illustrations réalistes de Denis Rodier, qui révèlent juste ce qu'il faut l'enchaînement des scènes, le séquençage de l'action, l'humeur et le caractère des personnages.

C'est par cette humilité, par cette non-volonté de nous en mettre plein la vue avec une histoire qui troue le c... et des dessins peuplés de gens superbes, que l'ouvrage atteint son but. Par la simplicité et la médiocrité (au sens étymologique du terme) de son expression, elle nous entraîne dans l'apparente véracité d'une histoire extraordinaire, sans lasser, ni dégoûter, ni énerver, et réussit pleinement son pari comme tome 1 d'une série que l'on souhaite longue.