8/10Mister Hollywood - Tome 1 - Boulevard des illusions

/ Critique - écrit par riffhifi, le 22/01/2009
Notre verdict : 8/10 - Sunrise boulevard (Fiche technique)

Tags : eur etat evaluation tome hollywood illusions boulevard

Un scénariste qui débarque à Hollywood se sent rapidement comme un chewing-gum : mâché avec mépris et recraché sur un trottoir. Le périple du jeune Orson Wells (quel nom !) est semé d'embûches dès ce premier tome très bien écrit.

Depuis le début de la décennie, Gihef a fait son trou comme dessinateur de séries réalistes, tendance blockbuster pas prise de tête et allégé en matière grise. Pour preuve, le lourdingue Haute Sécurité scénarisé par Joël Callède à grosses mailles de clichés carcéraux... C'est donc avec un sourcil suspicieux qu'on ouvrait ce Mister Hollywood, premier ouvrage scénarisé par Gihef. Le dessin est assuré par Eric Lenaerts, artiste old school spécialisé dans une sorte de réalisme à base de ligne claire, au rendu doux et lisible mais pas très fort en caractère ; il a notamment œuvré sur certains albums d'Alix ces dernières années. Le résultat est proprement Orson of a bitch ?
Orson of a bitch ?
emballant, en abordant le milieu du cinéma de façon suffisamment précise pour ne pas ennuyer les connaisseurs, tout en gardant à l'esprit que la lecture doit rester accessible à un public néophyte.

Orson Wells, bien décidé à conquérir Hollywood avec sa plume, y débarque avec son patronyme gaguesque (à un "e" près, il est l'homonyme d'un géant du Septième Art) et ses phobies multiples qui font de lui une sorte d'équivalent de Monk : asthmatique, maniaque obsessionnel, angoissé... Le petit jeune homme ne semble pas avoir les épaules pour affronter les requins du cinéma. Mais allez savoir la forme que peut prendre le rêve américain...

Les affres d'un scénariste maltraité par le système, c'est un sujet que les frères Coen ont traité en film il y a de cela quelques années dans le surprenant Barton Fink. Bien loin de ce trip kafkaïen, Gihef et Lenaerts suivent leur héros à hauteur d'homme, dans un réalisme (ou semblant de réalisme, l'essentiel étant qu'on y croit) appuyé par de nombreuses références cinéphiliques. S'il est facile de se raccrocher à l'énoncé des noms de Peter Jackson ou Steven Spielberg, on appréciera surtout les allusions aux classiques, notamment à Billy Wilder qui se voit rendre un hommage filé à travers l'album : le titre lui-même est un hommage à son film Sunset Blvd., traduit en français par Boulevard du crépuscule, dont la vision amère du milieu hollywoodien entre autres se retrouve dans le scénario.

« C'est pile poil dans tes cordes, un "film à Oscars"... du drame, de la passion, de l'humanité... Et ce serait bien que tu nous mettes un peu de cul aussi ! »

Si le dessin manque un peu de relief et se contente d'illustrer proprement le récit, Bitch of Orson ?
Bitch of Orson ?
on se surprend à admirer la maestria du scénario de Gihef, qui parvient sur le fil du rasoir à intéresser sans trop verser dans la distribution de clichés typique des premières œuvres. Le déroulement de l'histoire est classique mais riche, et les péripéties vécues par Orson Wells provoquent une véritable empathie, au point qu'on en vient à souhaiter l'arrivée du deuxième tome malgré l'absence de réel suspense à la fin de celui-ci. Car pour un début de série, Boulevard des illusions se révèle étonnamment complet et ne résonne pas comme une longue introduction, un autre travers fréquemment observé.

Reste à voir si la suite suscitera autant d'intérêt, Gihef ayant sans doute encore besoin de faire ses preuves comme scénariste auprès des éditeurs. D'ailleurs, comme le dit son agent à Orson, dans une métaphore typiquement américaine : « Tu as atteint la première base, à présent tu dois marquer l'essai ! »