8/10Le Marquis - Tomes 1 et 2

/ Critique - écrit par iscarioth, le 19/08/2005
Notre verdict : 8/10 - « Il n'y a pas de place pour le doute, car le doute est un péché contre la foi... » (Fiche technique)

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Critique des tomes 1 et 2 : « Il n'y a pas de place pour le doute, car le doute est un péché contre la foi. Or, sans la foi, nous sommes tous damnés »

L'auteur

Guy Davis est un dessinateur américain ayant beaucoup travaillé pour les grandes maisons d'édition états-uniennes : DC/Vertigo (Batman), Marvel (Fantastic Four) ou encore Dark Horse (Aliens)... Certaines de ses oeuvres, les plus adaptées au public franco-belge, ont été publiées par les Humanoïdes Associés en France. Les Zombis qui ont mangé le monde, une série humoristique scénarisée par Jerry Frissen, a été la première oeuvre de Davis à toucher le public francophone. A ensuite suivi une série plus personnelle ; Le Marquis, dont deux des trois volumes sont aujourd'hui disponibles.

L'histoire

Venisalle, France, XVIIIème siècle. Vol de Galle, animé par une grande foi, se croit au service d'une sainte : De Massard. Armé d'un pistolet et d'une épée, habillé d'une grande et longue cape noire, le visage caché par un masque horrifique, il sème la terreur en ville où les citadins le surnomment craintivement Le Marquis. Sa mission ? Nettoyer la ville de ses pêcheurs. Mais qui l'envoie ? Dieu ou le diable ? 

Pénombre perpétuelle

Le Marquis, c'est avant tout un univers assez peu courant dans la bande dessinée. Tout d'abord techniquement. La bande dessinée est assez inhabituelle. Intégralement réalisée en noir et blanc, foisonnante de détails, elle repose essentiellement sur la technique de la trame pointillée en décalcomanie. Le trait à l'encre agressif, nerveux et foisonnant fait un bon mélange avec ces trames mécaniques, très peu souvent utilisées en bande dessinée depuis la fin des années soixante dix. Guy Davis a une façon très pertinente de se réapproprier et de réinventer l'utilisation d'un certain matériel de base (encre, trames). L'univers, d'un point de vue esthétique, est riche et complet. On se situe entre un rendu historique et une improvisation fantaisiste. « Il a fallu beaucoup de croquis pour transformer l'univers réel de la France du XVIIIe siècle en monde fictif du Marquis » rapporte l'auteur. « J'ai certes dû faire des recherches pour retrouver l'ambiance de base et l'architecture de cette période historique, mais beaucoup d'éléments ont été créés de A à Z pour donner au décor baroque du Marquis un aspect unique ». Scénaristiquement, on retrouve cette même logique. Venisalle n'a jamais existé, de même que l'on n'a jamais connu en France de Sainte de Massard. Pourtant, certaines architectures, certains vêtements et même certains aspects sociaux et hiérarchiques nous renvoient à une France historique. Sur le fil, entre deux mondes, l'univers créé est très épais et crédible, même enrobé par son baume fantastique.

Psychokiller, slasher, superhéros...

Vol de Galle, dit le Marquis, est lui aussi très impressionnant de profondeur. Le personnage, tiraillé par le pêché et par sa quête de justice divine, possède une psychologie très évolutive. Presque tout, dans la société dépeinte dans Le Marquis, tourne autour de la religion et de la piété. On découvre le caractère des différents protagoniste au travers de leur façon d'aborder et de réagir à un certain fanatisme. On le sent dès le début du premier tome, Danse Macabre, avec le long dialogue entre l'Inquisiteur et Herzoge ; Guy Davis possède un redoutable sens du dialogue. En quelques lignes parcourues, c'est un tout autre univers et des moeurs complètement étrangères que le lecteur semble palper. Le Marquis est un personnage central complètement inhabituel en bande dessinée. Même assassin, il n'a rien de particulièrement détestable aux yeux du lecteur. Difficile aussi, de s'y identifier ou de se laisser attendrir par cet homme qui est avant tout esclave de sa foi. L'image du Marquis fait beaucoup penser à celle des assassins déguisés dans les Slashers (Scream, Vendredi 13). Le Marquis, tout habillé de noir, d'une silouhette furtive et allongée, est un oiseau noir. Même au beau milieu de la foule, apparent pour le lecteur, il reste introuvable, tapi dans l'ombre. C'est un personnage masqué et horrifique. On pense aussi aux films dits « psychokiller », qui s'attachent à dépeindre le caractère et les tourments d'un dément assassin (Maniac, Henry), notamment lors des scènes où le Marquis s'entretient avec la statue de Massard. Vol de Galle est il fou ou clairvoyant ? Entouré par le vice ou aveuglé par sa foi ? On a réellement l'impression de suivre des yeux un personnage complexe et terrifiant, un personnage d'envergure.

Cinématographique et religieux

Le Marquis est écrit et réalisé d'une manière très cinématographique. Les scènes d'action sont à ce niveau particulièrement révélatrices. Des plans larges nombreux, des plongées et contre plongées, un choix et un enchaînement de plans renversant. Lors de certaines scènes de combat ou de course poursuite, on en vient même à penser à Matrix. Le Marquis sait aussi se montrer très violent, graphiquement, avec des images d'éviscération, de décapitation, de démembrement ou d'aliénation... Une violence visuelle aténuée et grandie par un noir et blanc magistral. Le Marquis se distingue aussi par sa portée spirituelle. A Venisalle, l'autorité suprême est celle d'un haut placé de l'Eglise, le pouvoir second est l'armée. Au nom de dieu sont perpétrés de grandes horreurs (tortures, meurtres, terreur). Partout est traqué le libre arbitre. De multiples références nous renvoient à la religion chrétienne, notamment dans les dialogues, parsemés de trouvailles ou similitudes bibliques. « Si votre main est un sujet d'offense, coupez-là ! » peut on lire début du premier tome. On est face à une critique de la religion, de sa hiérarchie et des hypocrisies qui en découlent...


Le Marquis est une série de qualité, qui nous présente un univers glauque, un personnage central d'envergure et un style graphiquement très au point. Mais c'est une série qui ne plaira, à coup sur, pas à tout le monde. Certains pourront la trouver ennuyeuse, d'autres, carrément incompréhensible. Vu le prix des albums (environ 25 euros pièce), mieux vaut pour le lecteur se les faire prêter avant de les acheter. Quoiqu'il en soit, les Humanoïdes Associés ont fait du très bon travail avec cette édition du Marquis. La couverture est très solide et épaisse et la pagination, déjà inhabituellement longue, est encore grossie par des appendices riches en croquis commentés.

Tome 1 : Danse Macabre (2004)
Tome 2 : Intermezzo (2005)