5.5/10Manager mode d’emploi vs. Vuillemin

/ Critique - écrit par riffhifi, le 20/06/2008
Notre verdict : 5.5/10 - Travail m’a tuer (Fiche technique)

A quelques mois d'intervalle, deux albums aux titres quasiment identiques traitent tous les deux du monde du travail. A ma gauche : Travail m'a tuer de Vuillemin. A ma droite : Ce travail m'a stresser de Serge Dehaes. Ding !

Le monde du bureau semble être une source d'inspiration majeure des comiques ces dernières années. Entre la série britannique The office, déclinée en variantes françaises et US, le succès constant de la bande dessinée Dilbert et l'arrivée plus récente de l'amusant Dans mon open space, on baigne dans les réunions d'entreprises, les tours de 30 étages, les PC qui plantent et les tracas du service comptabilité.
Rendre amusant un quotidien aussi trivial et déprimant n'est pas gagné d'avance, et certains s'y cassent tout simplement les dents. Coïncidence fendarde, à quelques mois d'intervalle sortent deux albums sur le sujet, à la couverture semblable et au titre quasiment identique : en octobre dernier, c'était Vuillemin qui livrait Travail m'a tuer chez Vent des Savanes ; ce mois-ci, le tome 2 de Manager mode d'emploi de Serge Dehaes sort chez Fluide Glacial et s'intitule Ce travail m'a stresser... Un télescopage d'autant plus curieux que l'affaire « Omar m'a tuer » commence à dater sérieusement, et que ce genre de variante ne fait plus rire personne depuis bien longtemps.

La mise en parallèle des deux albums, bien que furieusement tentante, s'avère pourtant rapidement un peu vaine : bien que tous deux soient prévisibles, anodins et clairement évitables, ils le sont pour des raisons bien différentes. Vuillemin est en pilote automatique depuis des années, Dehaes n'est pas encore rôdé (il a longtemps été l'assistant de Geluck sur Le Chat). Travail m'a tuer est constitué de dessins pleine page en noir et blanc, Ce travail m'a stresser est une série de strips couleurs de trois cases. Vuillemin pratique la ligne crade avec un humour fait de
provoc bien lourde (scatologie, violence), Dehaes fait dans le dessin tout public aux décors anguleux et dépouillés. Même le contenu diffère : ...

Dans Travail m'a tuer, sur 134 dessins, une vingtaine tout au plus sont consacrés à la vie de bureau proprement dite, les autres étant adaptés à coups de chausse-pieds au thème de l'album : un métier est passé à la moulinette de l'humour Vuillemin, dans un dessin de qualité aléatoire souvent accompagné d'une rime poussive (« Pompier, c'est le pied », « La mécanique, c'est fantastique », « Urgentiste, c'est pas triste »). L'auteur sert sa soupe habituelle, vulgaire et sans tralala. C'est rentre-dedans, ça peut dégoûter ou déplaire, ça peut sentir la matière fécale et surtout le déjà-vu, mais l'ensemble a du moins le mérite d'avoir de la personnalité.

Dans le deuxième tome de Manager mode d'emploi, qui ne bénéficie pas même d'une couverture rigolote comme celle de son prédécesseur (qui parodiait l'affiche des Dents de la mer), on subit péniblement les assauts des pires clichés de la vie de bureau. Monsieur le Directeur (il n'a pas de nom) est incompétent, n'a pas de considération pour ses employés et ne songe qu'à jouer au tennis ; sa secrétaire Barbarella n'est pas blonde (ouf !) mais c'est une bombasse con comme un balai, qui met de grosses boucles d'oreilles et tortille des fesses ; quant au responsable des Ressources Humaines, il s'emploie à ne rien faire avec une exigence Le romantisme des années 2000
Le romantisme des années 2000
irréprochable. Dehaes ne joue pas avec les lieux communs, il en use au premier degré. La cible de l'album est probablement composée des gens qui, prisonniers d'un bureau depuis plusieurs années, n'ont jamais eu l'occasion d'être exposés à la moindre forme d'humour ; il faut donc leur réapprendre les bases : un employé retourne la courbe des ventes pour donner l'impression qu'elle monte (le directeur commente : « Renversant »), le directeur qui récupère à son compte l'idée d'un employé, la secrétaire qui philosophe « Tant qu'on me donnera l'illusion de beaucoup me payer, je ferai tout pour donner l'illusion de beaucoup travailler ! », etc. Eculé, pas drôle et, disons-le, assez moche à regarder, l'album s'échange sans peine contre un Dilbert du même prix... Pour la petite histoire, les strips de Manager mode d'emploi ont été publiés dans Spirou, mais l'album se voit édité par Fluide au lieu de Dupuis ; serait-ce lié au passé spirousien de l'éditeur en chef Thierry Tinlot ?...

Bilan du match : avantage Vuillemin, mais les deux sont dispensables.