Linda aime l'art
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 22/12/2012 (Tags : bertrand aime philippe art linda pages vie
Linda n’est plus toute jeune. Née il y a près de trente ans chez Pilote, on ne peut pas vraiment dire qu’elle n’a pas pris une ride. Bien au contraire, Linda appartient à son époque et surprend dans le paysage BD des années 2010.
Objets ramassés chez LindaLe scénario est dans la veine de l’art contemporain des années 80. Ce qui prime avant tout c’est le concept. Faisons fi des histoires alambiquées, de l’action ou de la romance, Linda ne fait rien. Linda habite au vingt-cinquième étage. Linda ne sort jamais. Linda passe sa journée à regarder une télé bien particulière. Linda aime l’art. C’est à peu près tout ce que l’on sait d’elle. Dans trois ans, Buren installera ses colonnes au Palais-Royal.
Le découpage du scénario passe de personnage en personnage. Comme un collage de Jean-Paul Goulde, la réalité est modifiée, hachée, morcelée. Tout est réel mais prend une connotation étrange, un peu onirique. Un travestissement des faits qui en deviennent presque mélancoliques malgré la sensualité qui s’en dégage et le dessin très pop.
Des découpages rappelant Tom Wesselmann avec de grands aplats de couleur vive. Des perspectives faussées et des cadrages
Dévérouilléecinématographiques étranges. On alterne les cases riches avec une profusion de détails et celles proches d’un monochrome de Fontana, avec seulement une déchirure qui donne au dessin toute sa profondeur. Linda aime l’art comme celui de Fragonard et son fameux Verrou, scène de viol consentie ? Le doute reste permis. Jusqu’à Mondrian et sa simplification du monde avec seulement trois couleurs et quelques traits. Arrivant jusqu’au pop art ou à fluxus où tout devient art, en témoigne le déballage de petits rien trouvés dans son appartement. Elle aime aussi la poésie de Hölderlin.
Dix ans après sortira Sliver reprenant le même principe. Un locataire
Comme chiens et chatssuivant de près la vie privée des habitants de l’immeuble. Dans les deux cas, on reste enfermé dans un huis-clos érotique-chic plus ou moins sulfureux. Linda la cubiste ne sort jamais et c’est parfois un peu étouffant. Tout est dans la retenue et même si les rêves sont peuplés de créatures hybrides proches d’Omaha, le quotidien nous rattrape et on s’englue dans la répétition. On reconnaît le talent, mais tout ceci est dépassé, voire ringard. C’est comme réécouter Lio ou Jeanne Mas, ça a vécu, c’était bien un temps, tout le monde s’en souvient et l’air reste en tête pendant des décennies, cela a permis de rebondir sur d’autres choses, mais de là à réécouter un album en entier, il y a un gouffre.
La présente édition est agrémentée d'une préface émouvante de Frédéric Beigbeder en hommage à l'auteur, mort en 2010 et d'une postface de Jean-Marc Thévenet relatant l'aventure éditoriale de Linda aime l'art.