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9.5/10Les Onze Mille Verges

/ Critique - écrit par Maixent, le 31/07/2011
Notre verdict : 9.5/10 - Que les onze mille vierges ou même onze mille verges me châtient si je mens ! (Fiche technique)

Tags : onze mille verges apollinaire &nbsp guillaume evaluation

Un magnifique ouvrage sur lequel il faut se précipiter de toute urgence. Quand la violence touche au sublime sous la plume d'un poète que l'on ne présente plus et d'un dessinateur dont le trait va au-delà de l'illustration.

En 1907, soit à l’âge de 27 ans, Guillaume Apollinaire fait publier les Onze Mille Verges, son roman érotique le plus célèbre. Auteur et poète classique étudié maintenant par les enfants pour ses beaux calligrammes et sa poésie dans l’air du temps, témoignage vivace de la Belle Epoque et chantre du surréalisme, il n’en reste pas moins un pornographe de talent. Si ces œuvres furent éditées sous le manteau, leur paternité n’est maintenant plus discutable et nous offre un panorama de fantaisie érotique tout à fait fascinant, traité avec le talent d’un des plus grands poètes du XXe siècle. En ce qui concerne Liberatore, il est l’un des plus remarquables auteurs de bande dessinée du même XXe siècle, même si né quelque 35 ans après la mort d’Apollinaire. Pourtant son œuvre est assez réduite. Connu pour avoir donné vie au personnage de Ranxerox, scénarisé par Tamburini, il n’a depuis fait que de rares incursions dans le monde de la bande dessinée tout en le hantant de son talent et de ses figures féminines hyper réalistes.
Malgré la différence d’époque, les deux auteurs se complètent parfaitement.
L'écorché vif
Liberatore ne s’est pas contenté d’illustrer un texte connu, mais se l’est réellement approprié, comme si les deux auteurs avaient travaillé de concert. La violence du texte qui exprime toutes les formes possibles de déviances et de sexualité cruelle fait corps avec un dessin torturé dans lequel la force des muscles transparaît et où la crudité est de rigueur. Le dessin sale de Liberatore, exprimant une violence brute faite de sang et de foutre colle à ce texte sans retenues qui brille par son sadisme et son humour noir.
L’histoire peut paraître simpliste. Le prince Vibescu quitte Bucarest pour Paris avant de partir pour un voyage plus aventureux sur le thème du voyage initiatique proche de Candide. Mais là où ce dernier s’ouvrait à la philosophie, le hospodar y apprend la poésie de la brutalité, quand les chairs déchirées et rougeoyantes provoquent un dégoût d’une telle beauté qu’elles touchent au sublime. L’initiation et les découvertes du héros ne sont bien sûr pas à prendre au pied de la lettre, tout ceci relevant du fantasme et entraînant très vite le lecteur dans un pandémonium sulfureux digne du marquis de Sade.  « Les scènes de pédérastie, de saphisme, de nécrophilie, de scatomanie, de bestialité
Johnny got is gun
se mêlent ici de la façon la plus harmonieuse » disait la notice du catalogue clandestin de 1907. On ne s’encombre pas d’une censure mal placée ni d’un politiquement correct au nom d’une morale quelconque. On est de pleins pieds dans la Beauté la plus brute et Liberatore l’a bien compris en n’essayant pas de proposer un dessin harmonieux et esthétisant. Ici, tout est force et chaque mot, comme chaque trait, judicieusement choisis, participent de cette force.
Plus qu’un livre, il faut aborder l’ouvrage comme une œuvre d’art, à la fois dérangeante et excitante, mettant en scène des mécanismes intérieurs puissants. Comme devant le Salo de Pasolini ou à la lecture du Château de Cène de Bernard Noël, le lecteur est embarqué dans un enfer fascinant qui met à mal toutes ses certitudes et le convie à se confronter à lui-même. Au-delà des notions de bien et de mal, les protagonistes exultent leurs passions et crachent au monde leur état d’êtres de chair fragiles et magnifiques. Comparables aux Chants de Maldoror pour leur noirceur et leur esprit de révolte, les Onze Mille verges transcendent le genre érotique pour acquérir le statut de chef d’œuvre et prennent d’autant plus de sens avec les dessins de Liberatore qui ne cloisonnent pas l’imaginaire mais offrent un appui au lecteur, lui permettant d’atteindre des dimensions inexplorées.
La présente édition est également remarquable par le travail de l’éditeur, qui offre un bel objet en adéquation avec son contenu.