8/10Laïka

/ Critique - écrit par riffhifi, le 31/05/2009
Notre verdict : 8/10 - Space Bud (Fiche technique)

Tags : laika spoutnik camping chienne espace terre moscou

Il y a plus de cinquante ans, le premier être vivant était envoyé dans l'espace par les Russes. Un toutou condamné à périr dans les étoiles, dont Nick Abadzis raconte la destinée avec pertinence.

Une biographie en bande dessinée a bien besoin de 200 pages pour être traitée correctement, sans survol dilettante ni raccourci coupable. Dans le cas de Laïka, on est pourtant en droit de se demander si une telle longueur est nécessaire pour raconter sa vie de chien, écourtée prématurément par un voyage spatial sans retour. Mais le Britanno-grec Nick Abadzis sait ce qu'il fait, et prend habilement appui sur deux existences humaines pour mettre en perspective celle de la chienne.

La première scène se déroule en 1939, aux portes d'un goulag dont Sergueï Pavlovitch Korolev vient d'être libéré. En route pour Moscou les pieds dans la
neige, il n'est même pas sûr de parvenir vivant au procès supposé le décharger de son inculpation hâtive de trahison. Dix-huit ans plus tard, en 1957, Korolev est ingénieur en chef de la mission qui met en orbite le satellite Spoutnik I. Galvanisé par le retentissement de l'exploit, Khrouchtchev décide d'ordonner le lancement de Spoutnik II un mois plus tard, avec à son bord un être vivant. Ce genre d'ordre ne se discute pas...

Dans les premières pages, le graphisme peut dérouter : souvent étriqué dans de toutes petites cases, le dessin véhicule un sentiment claustrophobe jusque dans les vastes étendues neigeuses, qui ne fera qu'aller en s'accentuant au cours de l'album. Mais cette mise en page, qui rappelle par moments les bandes dessinées d'antan, sert essentiellement un propos admirablement maîtrisé : ainsi, le chien qui voyage de prison en prison se fait l'écho d'un Korolev dont le souvenir du goulag détermine la moindre action, et la dresseuse de chien Yelena Alexandrovna Doubrovski découvre progressivement les limites extrêmement étroites de sa propre liberté. Le contexte communiste est évidemment pour beaucoup dans le sentiment d'oppression que les personnages éprouvent, mais Abadzis se garde bien de livrer un pamphlet politique. Au contraire, son histoire paraît plutôt universelle : les choix de chacun sont limités, subordonnés à leur place dans la société, et personne ne veut assumer directement la responsabilité de ses actes.
Forcément, la chienne-vedette (qui n'est baptisée Laïka que peu de temps avant sa mise en orbite, elle est nommée Koudriavka le reste du temps) est la moins en mesure de choisir sa destinée à partir du moment où elle perd sa liberté initiale, devenant ainsi le témoin muet au regard accusateur des actions humaines, et le reflet de la solitude des individus qui lui font face. Le lien qui l'unit à une petite fille russe dès le début du récit permet quelques belles séquences oniriques, et contribue à donner de l'épaisseur à la personnalité du cabot sans pour autant en faire un personnage anthropomorphe. Encore un tour de force inattendu, qui aurait pu facilement tourner au tartinage de mièvrerie.

Vainqueur en 2008 de l'Eisner Award de la "meilleure publication pour adolescents" (un choix étonnant, car la lecture ne paraît pas particulièrement axée sur un public ado), nominé dans la catégorie "meilleure adaptation de faits réels", Laïka se révèle un choix d'importation judicieux de la part de Dargaud, après les déceptions que constituaient Ouvert la nuit et Prince of Persia, eux aussi publiés initialement chez First Second Books.