8/10Khaal, chroniques d’un empereur galactique - tome 1 : la SF des familles

/ Critique - écrit par athanagor, le 17/08/2011
Notre verdict : 8/10 - Le cas Khaal : nerveux (Fiche technique)

Une bonne BD de SF, quand on en trouve une, ça fait du bien par où ça passe, et tant pis si des fois ça tache un peu la chemise, comme ici. A lire avec un tablier autour du cou, voire derrière un hygiaphone.

Début très prometteur pour cette BD qui se replonge avec un certain naturel dans une ambiance SF classique et familière. Semblant piocher son bestiaire dans Star Wars, son architecture dans 2001 : l’odyssée de l’espace ou Dune, et son trait chez Liberatore, l’ancrage fin 70-début 80 très prononcé reste malgré
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tout éminemment moderne. D’une part parce que ce style, quand il est bien maîtrisé, ne fait pas son âge, et d’autre part parce que la dynamique des mouvements, le choix des plans et cadrages, ainsi que la couleur que Sécher donne à son dessin sont complètement de leur temps, à savoir du nôtre. C’est donc dans un découpage furieux et épileptique, au travers d’une dizaine de scènes à majorité belliqueuse que l’on suit le parcours de ce redoutable combattant, et que l’on découvre la source de son pouvoir. Et malgré la violence et la cruauté dans laquelle il se noie, l’esthétique qui entoure son histoire exerce une fascination malsaine sur le lecteur, la même fascination instinctive que l’on ressent pour ceux qui surent draper leur folie dans une imagerie poétique.

Fabriquée sur une trame classique, adaptée aux particularismes du genre, l’histoire parvient à convaincre par une logique inhérente solide et très bien articulée, qui laisse à nouveau entrevoir le potentiel de Louis, dont on avait déjà pu admirer le talent dans le tome 9 de Kookaburra Universe. Capable de tourner son histoire dans de telles proportions qu’elle en devient un conte philosophique, il place ici ses personnages dans une prison gigantesque et autonome qui constitue un monde à elle seule. Dans cet endroit, chacun ne sent le poids de sa liberté perdue que dans le fait de devoir cohabiter avec les autres, et surtout dans le fait qu’il sait être emprisonné. Bien vite, l’espace immense que constitue cette prison, suffisamment vaste pour permettre à certains individus d’ignorer l’existence de certains autres, s’apparente de plus en plus à un pays où on saurait se sentir libre, si tant était qu’on ne sache pas y être enfermé. S’amusant ainsi avec la conception de la liberté, Louis jongle également avec les instincts animaux de
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ces espèces humanoïdes, qui n’ont de cesse de vouloir affirmer leur supériorité. Il en rajoute alors une couche pour mettre en doute la capacité de ses personnages à savoir vivre en bonne intelligence et à ne pouvoir fonctionner autrement que dans le conflit et le besoin d’être guidé par le plus fort, du moins tant que celui-ci sait le rester (on se demande à qui il pense…). C’est avec ce cynisme réglé au millimètre que Louis exprime ici le meilleur de son talent, qu’on n’a pas toujours aperçu dans l’ensemble de ses œuvres, mais qui sait parfois nous scotcher suffisamment fort pour lui pardonner toutes ses errances.

Ainsi, cet album, forgé dans le plus pur respect des traditions du genre se lit avec un rare plaisir et une étrange satisfaction morbide, teintée du désespoir que suscitent généralement les constats lucides. On ne pose pourtant jamais ces ouvrages sur le coin de la table pour laisser libre court aux amers sanglots que ces réalités font naître en nos âmes, secouant nos frêles corps de spasmes incontrôlés, leur donnant l’aspect d’une puérile fragilité. Non, en fait, on regarde de plus près pour voir quelle partie du cerveau de qui a giclé où, et on rigole de toute cette bêtise humaine… tant qu’on en reste les spectateurs.