8.5/10Kaplan & Masson - Tome 1 - La théorie du chaos

/ Critique - écrit par athanagor, le 18/10/2009
Notre verdict : 8.5/10 - Science et p'tites pépés (Fiche technique)

Un premier tome d'une série qui reprend le concept de Blake & Mortimer, en inversant les rôles et en déplaçant le tout à Paris, avec beaucoup de talent illustratif et scénaristique.

Ayant contribué à l'invention de la bombe atomique, Albert Bernstein fait toutes les nuits des rêves peuplés d'enfants irradiés. Pour calmer sa conscience, et peut-être aussi sauver la terre, il cherche à réunir une assemblée de savants pour faire fléchir les gouvernements vers une politique de non-prolifération. Heureusement pour lui, sa conscience sera bientôt coite. Assassiné dans sa chambre d'hôtel parisienne, il est enfin en paix. Son collègue et ami, Jason Purcell, qui l'accompagnait dans cette noble cause se retrouve alors seul, et pour tenter de rallier d'éminents hommes de science, et pour faire face à la menace d'un assassinat. Pour l'aider il fera appel à Nathan Masson, un scientifique qui a la classe. Dans leur tentative de réunir des scientifiques, et en premier lieu ceux qui contribuèrent à l'arme atomique, ils découvrent que ceux-ci tombent comme des mouches, apparemment de la main d'un tueur insaisissable. Ils parviendront toutefois à rentrer en contact avec Watabe Sensei, scientifique japonais qui participa au projet, et fut en conséquence banni Non mais... restez poli !
Non mais... restez poli !
par son pays. Bientôt rejointe par Etienne Kaplan des services secrets français, la fine équipe tentera de mettre fin à l'hécatombe.

Pour cette nouvelle série, c'est un aventurier d'un nouveau genre qui nous est présenté. En effet l'enquête est menée par un scientifique qui, il faut bien l'avouer, a une paire de cojones imposante. On nous en tient pour preuve la cigarette qu'il porte au bec même quand il mange, les litres de whisky qu'il s'envoie et un succès inénarrable avec les femmes. De plus, il sait garder un sang froid impérial sous le feu nourri de l'adversaire et autres explosions. Bref une vraie figure de bonhomme des années 50 à la Ventura, dans une France d'après-guerre qui en a. Et c'est paradoxalement une réelle fraîcheur que cette histoire sise à cette période, au milieu de parution de plus en plus manga-tectonique-hardcore à la sauce futuro-contemporaine. Le héros, le traitement, le sujet, tout est vieillot, et c'est la classe. Et c'est le cas essentiellement parce que cela nous ramène à des bases qui semblent ne pas vouloir vieillir mais seulement se bonifier. Alors, simplification du discours et rétrécissement des idées, retour vers des valeurs simples et identifiables, voire un peu réactionnaires ? Peut-être mais malgré tout, le plaisir est là. Ce plaisir, c'est le même qu'on éprouve à voir Sean Connery (ou est-ce Jean Dujardin ? ) qui, alors qu'il vient à peine de balancer l'espion russe par le balcon après une bagarre dantesque, fait une remarque détachée à la jeune fille qui sort de sa douche concernant l'état de désordre de sa chambre, remarque qui amènera naturellement la demoiselle à se jeter dans ses bras. C'est le même ordre d'idées qui dirige l'album, et c'est avec la même facilité que celle qui opère dans ce  genre de films, que les auteurs font se succéder, toujours avec logique, des scènes narratives, des scènes de dialogues, puis à brûle-pourpoint, une course-poursuite échevelée, qui une fois terminée retournera aux dialogues précédemment interrompus. N'y manque que la musique, et encore parfois, on jurerait l'entendre.

Pour mener tambour battant cette aventure, il n'y a pas que l'intelligence des enchaînements et des dialogues de Convard, Prenons exemple
Prenons exemple
il y a aussi le trait de Thibert, dessinateur du Marteau des sorcières, qui affine ici son trait vers une illustration moins proche de Fernando Botero que d'Edgar P. Jacobs. Rapprochement justifié quand l'auteur de Blake et Mortimer est vu comme un des pères de la ligne claire, que Thibert dépoussière et utilise avec un grand talent. D'ailleurs le rapprochement se prolonge dans la paire de héros en présence, Kaplan le scientifique (comme Mortimer) et Masson l'homme des services secrets (comme le capitaine Blake), mais ici c'est le scientifique qui est le plus sexy. Au passage, remarquons que ce scientifique qui a la méga classe constitue tout de même un personnage légèrement décalé qui permet (voire oblige) l'aventure à se ponctuer de nombreuses touches d'humour qui renforce l'intérêt de l'ouvrage.

Très inspiré par Jacobs, au travers du dessin, du caractère des personnages, mais aussi des préoccupations scientifiques et des dangers de leur mauvaise utilisation qui sous-tendent l'histoire, cette série rend hommage à l'auteur mais aussi à l'époque qu'il représente. Une momie très similaire à Rascar Capac dans son écrin de verre, ornant le salon de Masson, complète d'ailleurs la revendication au style. Toutefois, une nuance dans le ton, typiquement franco-parisienne, permet à l'ouvrage de marquer cette différence qui lui permet d'exister comme objet indépendant, au-delà d'une identification systématique aux auteurs belges d'une certaine époque. Les auteurs semblent donc reprendre d'anciennes recettes pour faire du neuf, comme peuvent le faire certains grands chefs avec des ingrédients de la cuisine traditionnelle, ou certains musiciens qui s'obstinent à faire du blues avec une vraie guitare ou à composer de la musique diatonique pour orchestre. Souvent le résultat est surprenant et excellent. C'est ici le cas.