2/10Jean Monnet, bâtisseur d'Europe

/ Critique - écrit par iscarioth, le 08/10/2006
Notre verdict : 2/10 - Nanar pédagogique (Fiche technique)

Tags : monnet jean europe jeux europeenne catherine jeanne

Réaliser ce type d'album pour parler aux jeunes de Jean Monnet, c'est identique à parler comme un vieux sourd gâteux lorsque l'on s'adresse à un enfant. C'est mal connaître et préjuger de celui à qui on parle, en plus de se ridiculiser soi même.

C'est l'OVNI du moment. Jean Monnet, bâtisseur d'Europe, un album dont l'essence pédagogique et didactique se flaire de très loin, parait chez les éditions de l'An 2, pourtant très affirmées dans la bande dessinée d'auteur. L'éditeur Thierry Groensteen s'explique dans l'éditorial de ce mois : « Il se trouve qu'ayant fait toutes mes études à l'Ecole européenne de Bruxelles et ayant ensuite travaillé trois ans pour la Commission, je suis un Européen convaincu et je respecte en Monnet un homme qui a su vaincre les nationalismes pour ouvrir une nouvelle page d'histoire ». L'initiative est louable, l'Europe un beau projet, Jean Monnet sûrement un homme mille fois respecté et respectable. N'empêche que l'album qui résulte de cette entreprise d'hommage et d'enseignement est un véritable désastre, très proche du ridicule absolu.

Cet album de commande se propose de retracer la vie de Jean Monnet, précurseur méconnu de l'Europe des nations, injustement écarté de la voie de la postérité. Pour retracer la vie de Monnet tout en essayant de convaincre un public jeune, les auteurs ont pris le parti de prendre pour sujets et acteurs de cet album des lycéens. C'est un groupe de lycéens qui, pour fuir le traditionalisme ennuyeux d'un exposé classiquement réalisé, va réaliser un site Internet à son honneur, avec vidéos à l'appui. Dès les premières pages, le portrait dressé de la jeunesse se vautre dans le ridicule le plus complet. Dans cet album, les jeunes sont un mélange curieux de périmé et d'érudition. Pour coller au public, les auteurs ont choisi de glisser dans le discours des personnages quelques mots « djeun's », qui sont en fait des termes inusités depuis parfois plusieurs décennies (!). Zique, fastoche, késaco, et autres zarbi sont au programme. Pour en rajouter au ridicule et au faux naturel plastifié de l'ensemble, les codes vestimentaires exposés sont presque tout aussi périmés (la casquette à l'envers !), renvoient aux années quatre-vingt voire même à un néant temporel. Question de détails, diront certains. Le pire est en fait la façon dont discutent nos jeunes lycéens. Les orateurs antiques pourraient en prendre de la graine. Nos lycéens sont de grands maîtres d'érudition qui s'apostrophent près d'un cours d'eau ou à la cantine pour se rappeler l'un à l'autre de grands points de l'histoire, et tout cela dans un langage policé et encyclopédique.

A ce stade de grande invraisemblance presque surréaliste, un nouvel élément vient achever définitivement l'album, le faisant basculer irrémédiablement dans la catégorie nanar. Début de l'album, nos jeunes gens se réunissent devant la statue de Jean Monnet, pour discuter de la planification de l'exposé. Soudain, le ciel s'assombrit. Une salamandre (oui, vous avez bien lu, une salamandre) grimpe jusqu'aux lèvres du buste de Jean Monnet. Le reptile se met à parler : « Jean Monnet rencontrera chacun de vous. Premier rendez-vous samedi, 14H, devant le portail du 52 rue Paul-Firino-Martell ». Cases suivantes, l'orage éclate, un fantôme s'échappe de la statue et nos chers bambins s'enfuient en courant sous une pluie battante. Premier effet de comique involontaire, premier éclat de rire. Et rapidement, un deuxième. A peine dérangés d'avoir entendu une salamandre causer, nos personnages n'en discutent que le temps d'une case et enchaînent ensuite sur un tirage au sort pour décider qui d'entre eux doit aller au rendez-vous. Au pays de Jean Monnet, il en faut plus qu'une salamandre qui cause pour perturber des lycéens.

Album didactique et à visée pédagogique oblige, Jean Monnet bâtisseur de l'Europe ne met en scène cette trame fantastique que dans le but de faire ressusciter Jean Monnet. Dans l'ombre presque tout au long de l'album, Monnet répond donc aux interviews des jeunes lycéens, qui se succèdent aux rendez-vous qu'il leur fixe. Monnet raconte sa vie, dans un ordre chronologique bien organisé et construit. Ainsi, deux types de discours se succèdent. Il y a la partie fiction (elle aussi très didactique et explicative), avec nos jeunes lycéens qui, dévoreurs de science, font cours à longueur de journée devant une classe silencieuse et passionnée et un professeur qui n'a plus rien d'autre à faire que d'appuyer sur le bouton du rétroprojecteur. Une autre moitié de l'album est consacrée à l'histoire pure (ou presque), avec Jean Monnet qui raconte sa vie, à l'aide d'encadrés narratifs réguliers illustrés par des cases brunâtres type image d'archive, des images jouant parfois sur un symbolisme très léger. On relèvera tout de même un point positif, au coeur de cette débâcle : la représentation par les auteurs d'une jeunesse métissée.


D'accord, la bande dessinée n'est qu'un prétexte pour parler de Jean Monnet, d'accord, le style est artificiel, mais provoqué par des volontés pédagogiques. Eh bien justement. Quitte à réaliser un album sur Jean Monnet et à l'adresser aux jeunes, autant le faire bien, autant sortir du didactisme sclérosé devant lequel les jeunes s'esclaffent. Normal, me direz-vous, quoi faire d'autre que rire lorsque l'on s'adresse à nous de façon aussi peu flatteuse ? Réaliser ce type d'album pour parler aux jeunes de Jean Monnet, c'est identique à parler comme un vieux sourd gâteux lorsque l'on s'adresse à un enfant. C'est mal connaître et préjuger de celui à qui on parle, en plus de se ridiculiser soi même.