L'institut
Bande Dessinée / Critique - écrit par Maixent, le 10/05/2015 (Tags : king institut stephen beaute roman livre avis
Un pamphlet féministe et politique sur un fond horrifique et érotique
Nous avions déjà rencontré Lilian et Agathe dans l’Antre de la terreur. Nous savions qu’elles venaient juste de s’enfuir d’un mystérieux institut mais nous n’en savions pas plus. Avec l’édition de cette première partie, nous découvrons comment les deux héroïnes se sont rencontrées et nous plongeons dans un univers tout aussi sombre que celui présenté dans L’antre de la terreur.
TerreurL’album s’ouvre sur la naissance de Lilian et déjà se trame une tragédie. Lilian arrive dans ce monde bercée par la mort en ce jour pluvieux de 1866, une époque où les femmes mouraient en donnant naissance à leur enfant et où les hommes se tuaient pour préserver leur honneur. Et c’est ainsi que l’orpheline est recueillie par ses tantes, deux inquiétantes femmes aussi sèches qu’un portrait d’Otto Dix sauf lorsqu’elles couchent ensemble et déchainent leur passion face à une nièce excitée épiant dans l’ombre, avant d’être placée à l’Institut.
L’Institut, dirigé avec une main de fer par une directrice aussi sympathique que Madame Mangin dans Princesse Sarah, est en fait une secte vouant un culte à Ishtar, la déesse des femmes, mis en place à l’aube des siècles et permettant aux femmes de développer leurs dons. Durant son apprentissage, Lilian parviendra à maîtriser ses pouvoirs telle un x-man prêt à combattre le crime, mais surtout elle se familiarisera avec la fourberie des hommes et le totalitarisme des femmes ; elle se rendra compte qu’il n’existe pas une séparation manichéenne des sexes et qu'aussi bien la fourberie que le plaisir ne sont pas question de genre.
En effet, L’Institut est un pamphlet féministe très actuel malgré une première édition il y a plus de quinze ans. Il est de bon ton de
Une féministe enragée qualifier le monde de la pornographie et de l’érotisme en général de machiste, un genre servant à mettre en avant les pulsions dominatrices masculines. Mais, si l’Institut met en avant des jeunes filles nues dans des positions scabreuses, ou des scènes lesbiennes plutôt excitantes, il est indéniable que le propos est plus politique et complexe. L’Institut s’inscrit parfaitement dans cette époque où les femen font parler d’elles, où la question du sexe et de la position en fonction de cela dans la société est prépondérante. Les auteurs nous proposent une histoire de la condition de la femme, qui fait partie de l’éducation de Lilian, malheureusement assez juste, de la chasse aux sorcières aux amazones, mettant l’accent sur une domination masculine oppressante qui était de mise dans l’époque victorienne, cadre du récit, mais aussi dans le gouvernement totalitaire argentin subi par les auteurs et qui les a contraints à l’exil. Comme le note justement l’éditeur dans la postface, pendant le franquisme, comme pendant la junte militaire argentine, la femme était placée sous la tutelle des homme et devait en subir de constants sévices.
Mais les auteurs ont l’intelligence de montrer l’envers du décor. Quid des femmes refusant de se plier aux règles de l’institut ? Et la solution est elle de remplacer une domination masculine par une domination féminine ? Pour reprendre la métaphore des x-men. Faut-il trouver comme Xavier une solution diplomatique pour un monde en harmonie ou comme Magneto prendre le pouvoir par la force pour se venger de siècles de tyrannie ? Lilian, elle, a choisi, et loin de se laisser endoctriner, choisi la solution qui lui parait la plus juste, consciente des dérives de certains hommes, mais aussi des dangers du totalitarisme.
InitiationTrès riche politiquement et soulevant des questions de société importantes, l’Institut n’en reste pas moins, comme l’Antre de la folie, une excellente bande dessinée mêlant sexe et horreur dans la tradition des fumetti italiens. L’idée par exemple de créer un personnage monstrueux, auxquel les filles sont obligées de s’accoupler pour perpétuer leur race d’amazones modernes est tout simplement géniale, formant un nœud dans l’intrigue et prenant le lecteur par les tripes, le faisant vaciller d’autant plus dans ce monde dur et froid. D’autant plus que le dessin renforce toute cette noirceur avec un souci du détail notamment dans les regards, extrêmement durs, et comme possédés par la folie.
Plus dur et politique que l’Antre de la folie, l’Institut est un magnifique récit parfaitement maitrisé, mêlant les genres et amenant le lecteur sur des terrains plus ardus que ce à quoi il aurait pu s’attendre.