8/10Greffier

/ Critique - écrit par wqw..., le 04/06/2007
Notre verdict : 8/10 - Un chat dans le tribunal (Fiche technique)

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Joann Sfar devient dessinateur de procès, pour suivre celui intenté à Charlie Hebdo, pour avoir diffusé des caricatures de Mahomet.

Dessinateur incroyablement prolifique issu de l'écurie de l'Association, Joann Sfar a sans aucun doute redonné un souffle à la bande dessinée hexagonale avec des séries aussi diverses que Le Chat du Rabbin, Petit et Grand Vampire, Professeur Bell, Klezmer ou le tentaculaire Donjon en compagnie de Lewis Trondheim. Depuis 2002, celui-ci publie ses Carnets, journal intime en mots et en illustrations, autour de ses amis, sa famille, ses coups de coeur, de gueule, etc. Des rêves aussi, des dialogues imaginaires... De la bonne centaine de pages d'Harmonica au pavé que constitue Caravan, Sfar, toujours l'humour au bout de la plume, se met à nu en faisant un auteur/personnage définitivement attachant.

Avec le temps, celui-ci se fait dépasser par l'exercice au point d'y passer plus de temps que sur ses propres albums. Joann, dessinateur-père de famille-conaud aussi des fois-joueur de ukulélé, abandonne ses carnets mais ceux-ci ne sont jamais bien loin... Ainsi, si La Vallée des Merveilles le met en scène avec les siens au temps des hommes des cavernes, il offrait également en fin de premier volume quelques notes, comme autant de cases à malices. C'est donc avec un plaisir non dissimulé que nous découvrons cette réapparition de ces Carnets, passés depuis aux éditions Delcourt.

55261_250.Pour l'occasion, il devient dessinateur de procès, pour suivre celui intenté à Charlie Hebdo, pour avoir diffusé des caricatures de Mahomet. Il se rend alors les 7 et 8 février 2007, au Palais de Justice de Paris et immortalise en images cet inquiétant moment où la liberté de la presse fut remise en question par l'Union des Organisations Islamiques de France, la Ligue Islamique Mondiale et la Mosquée de Paris dont le recteur Dalil Boubakeur fut étrangement absent durant la totalité des débats.

Si nous ne reviendrons pas sur la teneur des événements, suffisamment développée par la presse (et fond même de cet ouvrage), il est très intéressant d'avoir ce regard extérieur sur un procès des plus médiatiques. Joann Sfar, ni journaliste, ni caricaturiste, en suit le déroulement, nous donnant ses impressions, ses anecdotes, toujours avec malice, mais pouvait-il en être autrement lorsque Cabu, Plantu et bien des dessinateurs de presse sont dans les parages...

55262.Du côté de Charlie, on retrouve des hommes et femmes cultivés, intelligents, Philippe Val en tête (rédacteur en chef de Charlie hebdo), mais aussi quelques hommes politiques comme François Bayrou (« cultivé, posé, ne se laissant pas entraîner là où il ne veut pas »), et François Hollande (« un vrai mec, très vif, qui ne se laisse pas emmerder »), rattrapant ainsi l'étrange silence qui avait régné dans le monde politique au moment des parutions (le seul soutien étant alors venu de... Nicolas Sarkozy) ; Elisabeth Badinter (« rarement j'ai eu à entendre un penseur qui disait de façon aussi bouleversante le chemin à suivre, les craintes et le remède »), etc. Côté partie civile... l'obscurantisme parfois le plus caricatural : antisémite, antisioniste, homophobe, etc. en complet décalage avec l'Islam des lumières qu'évoquent parallèlement quelques écrivains et professeurs musulmans Taslima Hasreen, Mehdi Mozaf Fari, Abdelwahad Meddeb, etc.

De bons mots de maître Malka et maître Kiejman (« Je ne vous reproche pas de vous exprimer, je vous reproche de manquer d'humour juif »), d'étranges situations comme Szpiner, avocat de l'U.O.I.F qui imite Chirac ou qui « fait des blagues aux dépens de ses clients » et qui « a l'air d'être le premier à se demander ce qu'il fiche là. » et puis quelques gugusses dont on se demande comment et pourquoi ils prennent la parole à la barre... L'ensemble se révèle instructif, ludique et finalement des plus pédagogiques.

Tout aussi divertissant, la fin de cet ouvrage qui regroupe des chroniques parues dans Charlie en 2004-2005, toujours aux frontières entre actualité, philosophie et vie personnelle. En un peu plus de 200 pages, Joann Sfar, se dévoile toujours tel qu'il est, profondément humain, offrant un regard parfois naïf mais au combien rafraîchissant, sur ce que nous sommes, même si cela fait parfois un peu mal !