8/10Fantômas : Le dernier geste

/ Critique - écrit par riffhifi, le 12/05/2008
Notre verdict : 8/10 - Sang d’art (Fiche technique)

Tags : fantomas juve populaire film louis litterature livre

Que la bande dessinée de Preteseille soit une exploitation du personnage de Fantômas dans un but de dénonciation du monde artistique, admettons. Mais qu'elle soit également l'adaptation la plus convaincante du personnage, avouons que c'était plutôt inattendu.

Les éditions Warum, créées il y a bientôt quatre ans par Wandrille Leroy et Benoît Preteseille, cultivent la marginalité et la liberté de ton, de graphisme et de contenu. A l'heure où elles s'apprêtent à lancer le label Vraoum, destiné à rassembler un public plus large, elles publient ce curieux Fantômas, conçu comme un pavé dans la mare de l'intelligentsia artistique, mais qui se paie également le luxe d'être une évocation curieusement fidèle de l'œuvre originale.

Rappel pour les moins de 70 ans qui ne se seraient pas penchés sur le sujet : Fantômas est un personnage créé en 1911 par Pierre Souvestre et Marcel Allain, qui connut 32 aventures jusqu'en 1913, puis de nombreuses rééditions dont les
dernières datent malheureusement déjà de la fin des années 80. De 1919 à 1935, Marcel Allain écrivit seul (Souvestre étant mort en 1914) la suite des exploits du criminel, réputée inférieure. Inférieure en puissance, pas en qualité : Fantômas n'est pas célèbre pour l'intelligence de ses récits ni pour la subtilité des réflexions qui le sous-tendent, mais plutôt pour la frénésie feuilletonesque qui l'anime, se jouant de toute logique à un point tel que les auteurs surréalistes des années 30-40 ont fait de lui leur porte-étendard officiel. Jean Cocteau, revenant sur ce phénomène en 1961 dans Le Figaro littéraire, expliquait : « Fantômas nous enchante d'un bout à l'autre par sa désobéissance aux règles et par le courage instinctif avec lequel il survole l'intelligence si dangereuse par le contrôle qu'elle oppose à l'audace et par son frein qui paralyse le cours vertigineux du génie. » Dans Fantômas, les personnages peuvent mourir quatre fois par tome, endosser douze identités différentes à l'aide de trois postiches et demi, et se découvrir des liens de parenté en bataille, jusqu'à ce que le lecteur attentif réalise que Fandor est à la fois le neveu, le beau-frère, le cousin par alliance et l'arrière-grand-tante de Fantômas, qui est le père adoptif de Hélène et aura tenté aussi souvent de la tuer que de la sauver, etc.

De cette littérature échevelée, le cinéma comme la bande dessinée ont toujours été incapables d'offrir une contrepartie satisfaisante. Si l'on se souvient par exemple des comédies des années 60 avec Jean Marais et Louis De Funès, on ne peut malheureusement pas dire qu'elles reflètent en quoi que ce soit la brutalité et la poésie de la version écrite. Et si les films tournés par Louis Feuillade en 1913 reproduisaient fidèlement les péripéties des premiers tomes, ils souffraient d'une technique cinématographique alors balbutiante, impropres à retranscrire le foisonnement et la violence des récits. Qu'en est-il alors de la bande dessinée de
Benoît Preteseille, délibérément minimaliste et optant pour une instrumentalisation du héros à des fins de dénonciation des dérives de la critique dans le domaine de l'art plastique ? Contre toute attente, la vision qui est livrée du personnage est peut-être la plus fidèle qui ait été livrée à ce jour : ce cadavre ambulant, cet homme littéralement sans visage, non content d'être une exorcisation probable de certains démons de l'auteur (lui-même brûlé dans sa chair, à un degré heureusement bien moindre que le Fantômas de ces pages), est un artiste maudit, un esthète du meurtre et de la violence, un homme qui a décidé de réconcilier l'art avec l'instantané plutôt qu'avec la pérennité. Partant de là, rien de plus logique que de le voir vilipender les œuvres ratées ou superflues des artistes vénérés par le public bovin ; effectuant un saut dans le temps de quelques décennies, l'air de rien, sans explication, il ouvre un musée de l'inutile où il présente les peintures les plus pourries de Picasso ou de Dufy, afin de mettre en valeur son propre travail sanguinaire effectué sous le nom de Stefan Thomas (notez l'astuce). Le contraste entre l'objet de la narration et l'usage d'un dessin en partie inspiré de la bande dessinée du début du XXème siècle reflète également celui qui existe entre le crime barbare et la beauté supposée de l'art, entre le trait de génie éphémère par nature et la conservation de l'œuvre hors de son contexte... Sous un dessin dépouillé et une lecture rapide, l'album de Preteseille se prête à une relecture passionnante et sujette à débat.

Puisque l'auteur cite en ouverture de son opus la Complainte de Fantômas de Robert Desnos, laissons ici le mot de la fin à l'un de ses contemporains :

Fantômas, monde perdu dans l'espace,
Baiser de forçat, mystère du diamant,
Ventre sournois des violes,
Capitale de la fausse barbe,
Pavé poussé entre les herbes,
Cuivre blanc des carrousels salons,
Chapeau haut de forme braqué sur l'infini,
Image perpendiculaire à notre jeunesse,
Parricide mort au champ d'honneur,
Fantômas qui êtes aux Cieux
Sauvez la Poésie.

Ernst Moerman, 1933