L'Enragé - Tomes 1 et 2
Bande Dessinée / Critique - écrit par iscarioth, le 10/04/2006 (Tags : tome baru enrage histoire auteur vie jean
Critique des tomes 1 et 2 : Baru est un excellent conteur d'histoire, il nous le prouve encore une fois. L'enragé prend aux tripes par sa sensibilité exacerbée. Un excellent diptyque, réalisé par un excellent auteur et publié dans une excellente collection.
Filmé en décor naturel
L'enragé raconte un morceau de la vie d'Anton Witkowski, un jeune homme provocateur et arrogant, qui malgré les interdictions de son père, se lance dans la boxe professionnelle avec un seul but : se sortir de sa banlieue pourrie, conquérir la gloire et gagner de l'argent. On retrouve sur ce diptyque l'un des thèmes de prédilection de Baru : la condition sociale. On a déjà exploré cette thématique avec des oeuvres comme L'autoroute du Soleil ou Bonne année. Avec L'enragé, on s'étend encore plus explicitement sur les sujets de la banlieue, de l'intégration et de la réussite sociale. L'enragé s'ancre dans une réalité contemporaine. Une réalité sociale qui, hélas, se répète fréquemment : les émeutes, manifestations et injustices mais aussi une réalité plus matérielle. L'enragé fixe son intrigue dans des références non fictionnelles très présentes. Il est souvent question de gros titre de journaux, et là, pas de marques bidons : L'équipe, Libération, Voici, les Inrockuptibles, etc. Baru plante un décor réel qui gonfle son récit en crédibilité. « Filmé en décor naturel » aurait-on dit pour un film. Baru incorpore aussi à son diptyque des personnalités existantes et reconnues, comme Don King, le mentor de la boxe états-unienne.
Petit agité
Il faut rajouter à cela une autre qualité typique du travail signé Baru : l'explosivité des personnages, qui débordent à la fois de colère et de charisme. Le ton est à la fois violent, sans aucune hypocrisie et plein d'humanisme. On retrouve les valeurs de l'amitié, de la fidélité et de la justice. Le personnage d'Anton Witkowski est digne de figurer parmi les plus charismatiques de toute la bande dessinée. C'est palpable dès la couverture, « Witko » est un personnage fort en gueule, c'est une tête brûlée, un « enragé ». On accompagne l'individu dans sa vie de jeune adulte : de son départ du lycée à son procès. L'histoire est organisée de manière non chronologique, sur le mode du flashback : un désordre intelligent qui génère implacablement le suspens. Les rebondissements sont efficaces, surtout avec le deuxième tome qui multiplie les coups de théâtre. Dans plusieurs interviews, Baru a avoué être assez frustré par la pagination traditionnelle. L'autoroute du soleil a été pour lui un révélateur : on lui a permis de s'étendre sur un nombre autrement plus importants de pages. Plus besoin de raccourcis, on peut prendre le temps de développer les personnages et d'éviter les manichéismes. Avec L'enragé, l'auteur poursuit sur cette voie de contenu : 135 pages en tout et une histoire qui prend le temps de se raconter, à la fois par des dialogues très vifs et authentiques et par des phases plus silencieuses, observatrices, comme lors des combats.
Le Baru du 21ème siècle
Pour ce qui est du dessin, Baru évolue. Son trait est moins caricatural et nerveux qu'il y a dix ans mais toujours aussi caractéristique : on reconnaît les déformations faciales surexpressives de ses personnages ainsi que la coloration très élégante au lavis. On note aussi quelques évolutions techniques. On ne dessine plus maintenant comme il y a dix ou vingt ans. Baru semble avoir bien intégré l'ordinateur dans l'élaboration de ses planches. Ce qui heurte principalement, c'est l'utilisation de la reproduction et des collages multiples. Par exemple, pour reproduire une scène de combat en première page d'un journal, le dessinateur a effectué des manipulations informatiques pour copier, réduire réajuster et coller ce qu'il avait déjà dessiné (exemple au tome premier, pages 52 et 54). On observe aussi des incrustations photographiques pour les vêtements (page 34) mais aussi des reproductions de personnage. Pour les scènes de foule, on constate bien souvent que Baru a dessiné une masse de gens dans le détail, puis a réduit l'image et l'a incrusté en arrière plan. Cette reproduction à l'ordinateur devient flagrante sur les deux dernières planches du deuxième tome : Witko marche le long d'une route, et c'est la même image de lui que l'on voit s'éloigner. Cette technique nouvelle apporte plus de précision mais accroche parfois désagréablement l'oeil : il y a pour certaines vignettes des décalages entre un passage reproduit et dessiné. Mais ne chipotons pas.
Baru est un excellent conteur d'histoire, il nous le prouve encore une fois. L'enragé prend aux tripes par sa sensibilité exacerbée. Un excellent diptyque, réalisé par un excellent auteur et publié dans une excellente collection. L'enragé, c'est tout simplement un indispensable, l'une des plus grandes réussites de l'année.