6/10Le dernier des Mohicans

/ Critique - écrit par athanagor, le 26/05/2010
Notre verdict : 6/10 - Tiré par les cheveux (Fiche technique)

Cet ouvrage exposant un superbe travail graphique, tout en texture et en ressenti, n'a malheureusement pas beaucoup plus à proposer, et peut-être justement à cause de ça.

Cette libre adaptation du roman d'aventure de Cooper, jouit en tout premier lieu, d'un incroyable et époustouflant travail d'illustrateur. La patte de Cromwell est étonnante et son travail, fait de matière et d'ambiance, laisse une impression magnifique de mouvement et de perspective, noyée dans des flots sensoriels troublants. La suggestion des visages, des postures, des lieux et même des sons, laisse les mêmes traces dans l'esprit du lecteur qu'un rêve trop vivant, d
ont la réalité est pourtant démentie par certaines incohérences et impossibilités. Ce travail magnifique, nous en parlions il y a peu, concernant l'exposition des planches de cet album, et ceux qui ont eu la possibilité et le bon goût d'y aller faire un tour, n'auront pas besoin de plus d'arguments.

Malheureusement, il existe un triste déséquilibre entre le dessin et le conte. L'histoire qui accompagne l'illustration, très librement inspirée du roman d'origine, est hachée et, sans avoir déjà lu le livre (ou même vu le film), il n'est pas sûr que l'on soit à même d'articuler l'ensemble des situations présentées. Comme l'œuvre originale, les chapitres sont annoncés par des citations d'ouvrages aussi divers que Les raisins de la colère de Steinbeck et Cul-de-sac de Kennedy, et on ne cerne pas toujours leur intérêt, car déjà un peu perdu dans le travail d'identification de l'histoire de base. De plus, certains moments sont étrangement longs, là où d'autres sont affreusement courts, et il en va de même pour certains personnages. On s'interroge par exemple, sur la pertinence de Langlade, pourtant utile, mais qui apparaît et disparaît à la vitesse de l'éclair et dont les relations avec les autres personnages sont trop rapidement exposées pour être comprises. Mais celui dont la sous-exposition est la plus regrettable, c'est Œil-de-faucon, qui ne semble pas apparaître plus de deux ou trois fois dans tout le récit.

Après une brève analyse, on comprend alors que la BD est victime de ce qui fait sa force par ailleurs. Le superbe dessin de Cromwell, dont le nom sur la couverture est plus gros que le titre, a tiré à lui toute la couverture. Ainsi, c'est Magua, vilain charismatique et ô combien symbolique, mais surtout rêve d'illustrateur, qui est le plus présent,
au détriment des mohicans et de leur frère de sang. Il en va de même pour la clarté du propos, sacrifié sur l'autel du style qui rend parfois difficile l'identification du locuteur. Enfin, pour les mêmes raisons, les aspects philosophiques de ce roman qui évoque l'extinction d'un peuple, victime indirecte d'un conflit importé sur ses terres, et la profonde humanité négative de Magua, Shylock à la coupe funky, sont passablement ignorés au bénéfice des affrontements physiques et des batailles. Ces moments, où Cromwell prend un plaisir communicatif à représenter la valse des corps, sont anormalement longs, qu'il s'agisse de la capture des filles Munro ou du massacre suivant la reddition du fort William Henry. Cette ivresse d'action graphique et de recherche esthétique semble même parfois nuire au bon ordre de l'action, notamment dans l'affrontement final, entre Uncas et Magua.

Evidemment, même à considérer ces derniers points, on ne pourra décemment jeter l'ensemble au rebut. Le travail graphique, essence primitive du 9e art, est ici servi avec un talent indéniable. Mais pour essentiel qu'il soit, il n'en est pas moins primitif. C'est suppléé par une histoire entraînante et juste qu'il prend tout son sens et tout son intérêt. Il aurait peut-être mieux valu ici, s'abstenir d'en dégager une histoire complète et rester sur un recueil d'illustrations inspirées par le roman.