6/10Correspondante de guerre

/ Critique - écrit par athanagor, le 06/05/2009
Notre verdict : 6/10 - Talion aiguille (Fiche technique)

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Genre nouveau, l'interview biographique en BD, se concentrant sur des personnalités hors du commun, trouve ici un bon ambassadeur, quoiqu'un peu maladroit.

Issu d'un projet pensé par Clotilde Vu chez Soleil, et suivi par Daphné Collignon, cet ouvrage est le fruit d'une idée de départ simple : faire une BD sur un grand reporter. Une fois ce jalon posé, il n'y a plus que deux choses à faire : trouver le reporter et dessiner une bonne BD. Plutôt simple... Alors quel reporter choisir ? La question ne reste apparemment pas longtemps en suspens. Daphné Collignon entendra un jour une interview radiophonique d'Anne Nivat et, subjuguée par les propos de la dame, arrêtera son choix sur cette personnalité, apparemment hors du commun. Contact est pris par le biais de Reporter Sans Frontière, et après acceptation de l'intéressée, plus par curiosité face au média BD que par conviction, s'ensuivront des rencontres
régulières entre les deux femmes, autour de ce projet d'ouvrage. Puis la BD est dessinée, principalement en suivant ces mêmes rencontres, comme si on lisait une interview. Des éléments viendront augmenter et agrémenter l'ensemble : des photos personnelles d'Anne Nivat, des citations non illustrées tirées des rencontres entre les deux femmes, et surtout des illustrations de passages des livres de la journaliste.

Il n'est pas évident pour cet ouvrage de désigner Anne Nivat comme scénariste et Daphné Collignon comme dessinatrice, malgré ce qui semble être communément accepté. Premièrement, il n'y a pas ici, à proprement parler, de scénario. L'album fait surtout état de ces rencontres successives et de l'interview découpée qui en a résulté. Deuxièmement, la lecture de l'ouvrage semble confirmer qu'il s'agit d'une BD de Daphné Collignon sur Anne Nivat. De plus le dossier de presse n'est absolument pas explicite en la matière et laisse planer un flou qui nous obligera à considérer, pour cette critique, Daphné Collignon comme la principale auteure.

Le thème principal, c'est donc et bien sûr Anne Nivat. Comment elle est devenue ce qu'elle est et comment elle se voit, en tant que grand reporter. On apprend donc à découvrir le personnage plus que sa mission. Mais loin de passer à côté de ce qu'elle-même voit comme l'intérêt principal du projet, à savoir utiliser la BD pour accompagner et perpétuer son travail de reporter et témoin, le procédé résulte en une fascination pour la journaliste, donnant véritablement envie au lecteur de chercher par lui-même ses articles et ses livres, ce qui au final est bien plus intéressant. En effet, il n'y aurait que peu d'intérêt à avoir sous la main le travail de Nivat transposé par Collignon. Quoique... la BD distille avec, il faut le reconnaître, un grand talent, des épisodes de la vie professionnelle d'Anne Nivat, principalement en illustrant des extraits de ses livres. Pour l'exemple, l'épisode du bombardement de Grozny est un modèle du genre. L'impression d'immersion qui s'en dégage alors est saisissante. Collignon possède un trait superbe, réaliste et expressif, magnifiquement mis en œuvre pour les parties qui se passent à l'étranger. Un autre signe de son talent serait que, bien que la majeure partie de l'œuvre se passe à l'observation des deux femmes discutant a
utour d'une table dans un café, dans une ambiance majoritairement noir et blanc avec quelques roses, jamais on ne s'ennuie de ce statisme pourtant, de prime abord, rebutant.

Ainsi se déroule le plus clair de l'ouvrage, et c'est par la discussion que Collignon nous fait découvrir le reporter et bien sûr, la femme que cache cette identité socialement glorieuse. Anne Nivat témoigne de son activité et de la relative incompréhension dans laquelle elle se trouve par rapport au degré de starisation que son statut lui confère. On prend conscience que ceux exerçant ce métier ne sont pas les seuls responsables du produit fini, quand l'article paraît avec force photos et gros titres accrocheurs. Ils vivent et racontent, c'est tout. La simplicité avouée du procédé désarme et c'est ce sur quoi Nivat appuie. Ce n'est pas un métier fait par des gens qui recherchent une image positive, héroïque, glamour, mais seulement par des gens qui vivent ça comme quelque chose de naturel, une envie simple, l'envie d'écouter les autres et d'être leur porte parole, but déjà énorme... être un média, rien de plus. C'est d'ailleurs une autre force de cet ouvrage et du travail de Collignon, de communiquer tacitement le pragmatisme de Nivat, pragmatisme comme un sixième sens, qui lui permet de tenir et de continuer.

L'aspect étrange de cette BD, surtout chez Soleil, pourrait donc laisser planer comme un doute, mais le pari est réussi de laisser entrevoir la personnalité à la fois si simple et si extraordinaire, étymologiquement parlant, de cette femme. Et s'il n'y avait que cela, ce serait une grande réussite. Malheureusement et on ne comprend pas trop pourquoi, Collignon a éprouvé le besoin de faire d'elle-même le personnage principal de son livre. La candide héroïne allant interviewer la grande prêtresse et méditant ses enseignements, ou simplement la profondeur de leurs différences. Collignon admire Nivat (et c'est compréhensible), mais toute la réflexion qu'elle élabore sur le personnage et sur sa vie occupe une dizaine de pages... de trop, où Daphné Collignon se met en scène marchant dans les rues d'un village marocain (elle vit à Essaouira et enseigne à Marrakech), ou discutant avec son amant des interviews et de son ressenti. Et très franchement les considérations de Daphné Collignon sur Anne Nivat sont aussi creuses et inutiles que celles de n'importe qui sur le même sujet. On en arrive vite à s'énerver de cette auteure qui ne comprend pas pourquoi elles sont si différentes alors qu'elles n'ont pas la même vie. Ouvrant et fermant l'ouvrage, ces réflexions enserrent les autres éléments, pourtant fascinant, jusqu'à l'étouffement et l'impression de tourner autour du mauvais thème.

Ce simple fait exhale un « dommage ! » contrit des poumons du lecteur, à ça de succomber. Restant au simple niveau de l'interview, avec la subtilité  dont elle sait faire preuve pour choisir quels éléments de discussion porter à la page, et sa force expressive dans les moment de crise, Collignon avait toutes les armes pour faire de cet ouvrage une grande réussite. Mais l'introspection franche et directe de l'auteur indispose et agace, là où celle nuancée et suggérée de Nivat enivre ; quand elle s'accroche à la seule journaliste, Collignon montre un talent incroyable, qui chute comme une otarie bourrée à la bière (selon l'expression consacrée) dès qu'elle recentre la narration sur elle-même. Fort heureusement, si l'auteure accompagne tout le livre de sa prose et de sa réflexion très moyenne, ce n'est pas suffisamment envahissant pour être rédhibitoire et l'expérience reste, malgré tout, intéressante.