8/10Citoyenne 13660

/ Critique - écrit par iscarioth, le 03/05/2006
Notre verdict : 8/10 - Devoir de mémoire (Fiche technique)

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En se procurant Citoyenne 13660, il ne faut bien évidemment pas penser trouver une aventure romanesque. Il s'agit avant tout d'un témoignage, d'un devoir de mémoire.

Le 7 décembre 1941, les avions japonais lancent une attaque surprise contre la base américaine de Pearl Harbor. La conséquence directe est l'entrée en guerre des états unis, coté allié. La plupart d'entre nous sommes au courant de ce moment de l'histoire mondiale. Nous connaissons Pearl Harbor comme nous connaissons la Shoah, le siège de Stalingrad, la résistance et d'autres faits qui nous viennent immédiatement en tête lorsque l'on pense à la seconde guerre mondiale.


Mais nous a-t-on déjà parlé une seule et unique fois de la déportation des 110 000 personnes japonaises ou d'origine japonaise aux Etats-Unis ? Ce passage de l'histoire, comme beaucoup d'autres, est passé à la trappe et ne se raconte guère. Peu après l'attaque de Pearl Harbor, le président Roosevelt signe le décret administratif 9066, qui ordonne l'évacuation et l'internement de toute personne d'origine japonaise. 110 000 personnes, donc, sont arrachées à leur foyer et parquées dans dix camps dont un réservé aux personnes jugées trop « déloyales ». « Dans l'histoire des états unis, ce fut la première évacuation de masse, au cours de laquelle des civils furent déplacés simplement en raison de leur race ». Miné Okubo a vécu ce déportement et a témoigné, par ce livre, de ce qu'elle a vu.

Citoyenne 13660 n'est ni véritablement un roman, ni véritablement une bande dessinée. Il s'agit, comme l'appellent les éditions de l'An 2, d'un « roman visuel », c'est-à-dire d'une série d'illustrations commentées. Une forme de narration non conventionnelle à laquelle nous sommes peu habitué. Citoyenne 13660 a été publié aux Etats-Unis dès 1946 et nous arrive soixante ans plus tard en France, grâce aux éditions de l'An 2, qui, comme Vertige Graphic (Un monde de différence, Les rois vagabonds), sont fort heureusement là pour publier et faire connaître les références historiques et commémoratives de la bande dessinée américaine.


Citoyenne 13660
ne présente aucune véritable galerie de personnages. Il n'y a pas de dialogues ni une quelconque forme d'intrigue comme dans Maus de Spiegelman. Les deux cent pages sont entièrement dédiées à la description de ce que Miné Okubo a vu. Elle explique les conditions de vie dans le centre de Toforan puis dans celui de l'Utah. Okubo n'explique presque rien sur elle en tant qu'individu, elle ne fait qu'expliquer l'organisation de vie dans les camps, la façon dont une communauté s'anime pour rendre la vie plus facile, meilleure. Aucune action, aucune péripétie au sens fictionnel du terme, rien que du descriptif. Nous sommes ici dans le témoignage pur. Le point de repère du livre, aussi bien au niveau textuel qu'au niveau illustratif, c'est Miné Okubo. Il s'agit de son témoignage, et l'extrême majorité de ses illustrations la mette en scène elle, au sein d'une foule ou d'un contexte.

« Le confort était la première préoccupation. Tout le monde était à la recherche de matériaux pour ériger des cloisons et construire du mobilier. Les bois de charpente et les plaques de tôle étaient rares et bien gardés, mais comme les matériaux promis aux résidents n'arrivaient pas, ils devinrent prêts à tout. Le temps passant et l'hiver approchant, le vol cessa d'être un crime et devint un acte de nécessité. Chacun errait en quête de matériaux. Il y avait des gardes partout, mais les résidents avaient appris à les éviter. Les mères inquiètes étaient les plus habiles à ce jeu ». Contenus dans un camp avec l'impossibilité d'en sortir, les évacués doivent faire face à de multiples problèmes d'hygiène, de promiscuité, de malnutrition, de maladie et de climat. Malgré les difficultés, les détenus luttent contre la déshumanisation. On améliore le quotidien, on tente de conserver fêtes et coutumes.


En se procurant Citoyenne 13660, il ne faut bien évidemment pas penser trouver une aventure romanesque. Il s'agit avant tout d'un témoignage, d'un devoir de mémoire. Une page sombre de l'histoire des Etats-Unis à propos de laquelle le gouvernement ne s'est excusé qu'en 1988.