8/10Cerbères - Tome 1 - La séduction de l'innocent

/ Critique - écrit par athanagor, le 02/11/2008
Notre verdict : 8/10 - Au poil ! (Fiche technique)

Tags : serge tome weissengel auteur carrere jeunesse soleil

Deux scénaristes et un dessinateur (oublions la coloriste car personne ne s'en soucie jamais) sont les trois têtes de cette ouvrage qui nous ouvre les portes d'une autre réalité.

Dans un Paris furieusement familier, à une époque indéterminée bien que les voitures en circulation ressemblent fort aux nôtres, Ercan Volkan est chargé de la protection de Fabien Manossian. S'il fait ça, c'est tout d'abord parce que c'est son boulot, il est garde du corps. Mais c'est aussi parce que Manossian publie Où es-tu Darwin, ils sont devenus fous, et autant dire qu'en ces temps de montée de la On étouffe là-dedans !
On étouffe là-dedans !
pensée chrétienne, du renforcement de la thèse créationniste et de l'émergence de groupuscule fondamentaliste chrétien, il vaut mieux s'abstenir d'écrire des trucs pareils. D'ailleurs ça ne manque pas : lors d'une conférence de presse, Manossian se fait allumer façon
Scorsese par ce qui semble être un pauvre bougre illuminé. Quitte pour une légère blessure et une grosse frayeur, Manossian charge son garde du corps, qui a plus d'un tour dans son sac, de mener l'enquête sur son agresseur qui s'est enfui une fois son méfait fait. Loin d'une simple vendetta personnelle, Ercan, lors de son enquête, va découvrir que cet attentat émane d'un vaste réseau et rencontrer les Cerbères, sorte de police secrète qui semble vouloir mettre un terme aux agissements de ces fous de dieux, mais dont les motivations profondes n'ont pas l'air très catholique.

Mention spéciale pour cette bande dessinée qui, malgré sa couverture au style convenu et qui laisse présager une bonne grosse histoire qui tache, nous épargne en fait la désormais tarte à la crèmesque intrigue, élaborée par des auteurs fatigués, qui veulent eux aussi exposer leur vision post 11 septembre qu'ils ont élaborée un La cuisine c'est moi...
La cuisine c'est moi...
soir de biture au calva. On est agréablement surpris de se retrouver dans ce monde à la croisée de l'anticipation et du monde parallèle. Anticipation pour les thèses politiques et culturelles qui nimbent l'ensemble et offrent une espèce de coup d'œil dans le futur d'une humanité qui n'aurait pas su régler ses problèmes, et forcerait ses membres les plus fragiles à se tourner vers le fanatisme religieux. Monde parallèle par ce décor si familier qui entoure l'histoire, résolument contemporain, sans gadget futuriste, ni bagnole incroyable, ni mutant, rien que ce qu'on voit déjà en mettant le nez dehors. L'intrigue, quant à elle, se déroule à l'allure sereine du scénario de Carrère et Weissengel, sans traîner ni sauter les étapes, mais bien en posant chaque scène et chaque fil de l'histoire avec le juste dosage pour ne pas perdre ni fatiguer le lecteur. L'illusion est parfaite, tout cet imbroglio se fait si clair au fur et à mesure de son exposition, que le lecteur se croit investi d'un pouvoir de déduction particulier. Ainsi, cette intrigue qu'on croit avoir déjà vue prend une saveur toute particulière tant on se croit chargé de mener soi-même l'enquête, alors qu'on n'en comprendra pas plus tant que le tome 2 ne sera pas sorti.

En plus de cette intrigue qui implique le lecteur, et donc un rien troublante, vient ... et Schmidt.
... et Schmidt.
s'accrocher le dessin de Fino, qui ne peut que scotcher. C'est avant tout une forte sensation d'espace qui se dégage de son travail et qui surprend. Fino, qui ne fait pas dans les 15 000 détails au cm² mais plus dans l'impressionisme, donne des cases larges et spacieuses, qui prennent le temps d'installer toute la perspective dont elles ont besoin, pour offrir aux couleurs de Césano un terrain de jeu sans pareil. La surprise, ce sont ces pages qui s'en trouvent élargies et on se demande s'il arrivera à faire tenir tout son premier tome en 48 pages, mais il y arrive très bien, merci pour lui. Deuxièmement, tout en restant dans les codes de la BD avec juste ce qu'il faut d'emprunt au cinéma dans la succession de plans larges et de plans serrés, les personnages qu'il représente sont affreusement réels, parfois laids selon l'angle où on les regarde, comme les vrais gens. Cette réalité de traitement conjuguée à la perspective trouvée dans l'espace des illustrations et l'à peu près des représentations enfonce le lecteur dans l'histoire, comme s'il en était le témoin, caché dans le placard à balai.

Ce martèlement ininterrompu de principe de réalité asséné au cœur de cette fiction si particulière lui confère tous les atouts qui font que la lecture ne lasse pas. On est surtout admiratif, répétons-le devant le développement d'une histoire complexe et complète sans en omettre ni en remettre, tant au niveau du scénario que de l'illustration et suivant l'adage qui veut que la perfection soit atteinte non pas quand il n'y a plus rien à ajouter, mais quand il n'y a plus rien à retirer.